mardi 6 mars 2018

Delphine de Vigan : Les Loyautés (n°1 - fev 18)

Delphine de Vigan : Les loyautés -   Ed. JCLattès, 2018 - roman français

livre les loyautes
Delphine de Vigan nous a passionnés par ses 9 romans et envoutés par son dernier livre « D’après une histoire vraie », prix Renaudot et prix Goncourt des Lycéens  en 2015, roman entre fiction et réalité que j’avais beaucoup aimé. Il vient d’être adapté au cinéma par Polanski.

Ici elle nous écrit un livre plus intimiste sur les blessures des jeunes années. Elle dit avoir puisé dans sa propre histoire et avoir énormément observé des personnes dans des situations similaires de ses quatre personnages. 
En effet c’est un récit choral à quatre voix : une enseignante, deux jeunes garçons en cinquième et la maman de l’un d’eux. L’enseignante qui n’a pas d’enfant s’attache au jeune Théo.  Elle sent que cet élève part à la dérive et que personne ne semble s’en rende compte. C’est parce qu’elle-même a été maltraitée étant petite qu’elle reconnait en Théo un enfant en souffrance par sa façon de se tenir, de regarder, de fuir. Théo, livré à lui-même depuis que ses parents ont divorcé, avec un père au chômage et une mère hystérique « entraîne Mathis, son ami de classe, sur des terrains de jeux dangereux ». La maman de Mathis ne réalise pas la descente en enfer de son fils car elle doit gérer ses propres  problèmes : elle vient de se rendre compte que son mari a une double personnalité et est un homme détestable.
Les « loyautés » « sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres » dit l’auteur, des fidélités silencieuses, des solidarités muettes : la loyauté de Théo qui cache la situation de son père pour ne pas le trahir, la loyauté de Mathis qui se demande s’il doit dénoncer son ami qui l’entraîne dans des bêtises dangereuses.
Quatre personnages profondément fragilisés par la vie, remarquablement bien décrit dans cette histoire bien construite et bien écrite d’une « plume ferme et vigoureuse ».
L’auteur dit «  Dans mon livre les dilemmes qui nous poussent à agir et nous empoisonnent se posent à des degrés divers à mes quatre personnages ». La question est : « Doit-on trahir son ami pour pouvoir le sauver"?
Moment de lecture émouvant, poignant et dur : beaucoup de sujets abordés de façon si humaine et si touchante dans des situations tellement contemporaines : la famille, le divorce, l’alternance des gardes, la maltraitance, l’amour maternel, le devoir de protection envers les enfants, les problèmes de couple, le chômage, les doubles personnalités. 
A lire absolument.






Ivan Jablonka : En camping-car (N°2 - fev 2018)

Ivan Jablonka : En Camping-car - 2018, Ed du Seuil - roman français

  livre en camping-car

Ce livre est un récit « socio-autobiographique » … nous dit la revue Lire… « une étude historique, sociologique, géographique et intime ».
En effet Ivan Jablonka, historien et écrivain, prix Médicis 2016 pour Laëtitia, dans ce récit (qui m’a fait plaisir, dit-il), raconte son enfance « solaire et joyeuse ». A partir de ses propres archives, carnets de bord de ses voyages écrits entre ses 6 et ses 16 ans dans les années 1980 et des entretiens avec son père, l’auteur décrit ses étés heureux passés à bord d’un camping-car familial avec son frère et ses parents. Ils iront dans ce Combi Volkswagen  dans tous les pays d’Europe mais aussi au Maroc, en Turquie…Ce « bourlingage itinérant » a façonné l’identité de ce jeune garçon : « J’ai grandi en camping-car et le camping-car m’a fait grandir » dit-il. « Se souvenir de notre rencontre avec la liberté, c’est comprendre de quoi notre enfance est faite » : sa biographie est donc basée ici sur la construction de son « moi » durant sa vie d’enfant et d’adolescent et non comme souvent durant les années  universitaires et professionnelles. Il raconte « les conditions de naissance de sa propre liberté » et il ajoute dans une interview : c’est surement grâce à cet apprentissage et ces voyages que je suis devenu historien. « Soyez heureux » disait leur père. C’était une façon d’inculquer à ses deux fils « le bonheur comme acte de résistance, la culture et la liberté comme une revanche », ses parents à lui ayant été tués à Auschwitz et son enfance si malheureuse.
Je me suis régalée des descriptions de ses voyages, les longues routes, les installations dans des lieux extraordinaires (il était autorisé à l’époque de se garer n’importe où), les repas en plein air, la vie sauvage dans la nature d’autant que j’ai moi-même voyagé en Europe dans un camping-car similaire entre 1978 et 1988 et c’est peut-être ce sentiment de liberté qui m’a le plus marquée. C’est toute une époque que fait revivre l’écrivain dans ce merveilleux récit » (Version Fémina).

Canesi & Rahmani : Villa Taylor (n°3 - Fev 18)

livre villa taylor  Canesi & Rahmani : Villa Taylor - 2017, Ed Anne Carrière - roman français

 Ces deux auteurs sont deux médecins. Ils écrivent leurs romans ensemble et puisent leur sujet de récit dans leur activité professionnelle au contact de leurs clients, disent-ils. Ils commencent une interview en disant « Une maison peut changer votre vie » : c’est ce qu’ils vont nous raconter dans « Villa Taylor ».

« C’est l’histoire d’une femme d’affaires dont l’héritage d’une maison mythique de Marrakech va bouleverser le cours de l’existence ». Cette jeune femme, dirigeante d’une banque parisienne, n’est plus retournée dans cette maison depuis son enfance et soupçonne qu’on lui a caché quelque chose sur sa mère. Elle y retourne à la mort de sa grand-mère, Moune. Elle y retrouve l’atmosphère chaude et mystérieuse qui entourait les secrets et la replonge dans le passé. Elle y mène son enquête…
Mais c’est surtout la description de cette magnifique maison et de son jardin qui m’a enchantée. Cette bâtisse pleine de charme est, en fait, le héros de ce beau roman. On se laisse envoutés autant que cette jeune femme. Les odeurs, la chaleur, les fleurs : tous les sens sont en éveil. Les auteurs racontent qu’ils ont eu la chance de pouvoir s’installer pour écrire dans cette demeure qui appartient maintenant au roi Mohamed VI. On comprend alors qu’ils la décrivent si bien car ils y ont senti son passé colonial élégant et parfumé. On peut s’imaginer dans le jardin enchanté avec ces arbres et fleurs de toutes sortes, de toutes les couleurs que je cite pêle-mêle :  Cyprès, palmiers, orangers, citronniers, daturas, bougainvilliers, lauriers, crinums, alstroemerias, coriandre, bergamote, bambous, ficus, poivriers, oliviers , aloés, jasmin, agapanthes, plumbagos, bignones, biracadiers…roses anciennes, œillets et surtout l’odeur de la menthe poivrée. On y entend aussi les oiseaux et la musique de Bach mais aussi la musique de la langue arabe. On se régale des tableaux successifs décrits tels qu’un repas mauve pour l’assortir aux fleurs, une salle de bains en porphyre, un patio arabo-andalou…
Excellent roman de détente qui mêle la culture occidentale et la culture orientale dans cette « Villa » pleine de charme.