lundi 23 octobre 2017

Véronique Olmi : Bakhita (N°1 Oct 2017)

livre bakhita 

Véronique Olmi : Bakhita - Albin Michel, 2017 - roman français.



COUP de COEUR
Le résumé de ce roman est dans tous les journaux littéraires : A la fin du XIXème siècle, une petite fille noire, âgée de 7 ans vers 1875, est enlevée par des trafiquants d’esclaves dans un village du Darfour au Soudan. Elle va vivre l’enfer, sera vendue 6 fois, battue, humiliée, martyrisée puis sera rachetée par le consul d’Italie à Karthoum avec qui elle partira en Italie, se convertira au catholicisme, deviendra religieuse puis sera la première sainte africaine béatifiée puis canonisée par Jean-Paul II en 2000.
Cette histoire est évidemment magnifique : c’est la façon de relater ce parcours qui m’a beaucoup plu, ému et que j’admire énormément, faisant de ce livre ambitieux  mon coup de cœur. Il a déjà reçu le prix du roman FNAC 2017.
L’auteur se met à la place de l’enfant puis de la jeune fille puis de la religieuse et nous fait vivre toutes les étapes de ses sentiments avec une écriture épurée et sensible. La première partie est la plus prenante : « de l’esclavage à la liberté ». La seconde « de la liberté à la sainteté » m’a paru plus facile bien que très intéressante.
J’ai retenu quelques moments forts du début du récit : Le moment précis de l’enlèvement, le « tam-tam de son cœur » dans sa tête et dans sa poitrine, le « si tu cries, je te tue » ; son nouveau prénom (elle a oublié le sien…) Bakhita (qui veut dire la Chanceuse…) ; son attachement à Binah, sa co-détenue ; sa culpabilité envers sa famille restée au village, le souvenir du visage de sa mère (évoqué dans tout le récit) ; la description de la première nuit dans une bergerie qui restera un de ses plus forts traumatismes ; l’achat par le même marchand des deux amies : « elles marchent entre les gardiens, elles vont, elles continuent » : « je ne lâche pas ta main », cette phrase devenant leur leit-motiv pendant les marches interminables dans le désert ; la scène effroyable du bébé qui pleure ; la description du centre caravanier d’EL Obeid, les angoisses pendant le marchandage autour des deux petites filles qui sont « djamila », belles (la beauté, cette malédiction), leur soulagement de ne pas être séparées ; la succession des maitres, de leurs enfants infâmes, les abus d’un des fils de maître avec les coups qui les anéantissent pendant des mois entiers ; le tatouage vers l’âge de 12 ans : « cette chair entaillée, cette peau brûlante et bouffie, ces cicatrices pour la vie » pendant lequel elle a failli mourir.
Arrive enfin une sorte de libération lorsque le consul achète  Bakhita à « 12 ans à peu près » : sa façon de renaître, avoir un habit, se laver avec de l’eau, manger…
Commence alors la deuxième partie pendant laquelle notre Bakhita sera à nouveau donnée à un autre maître. Dans cette maison, elle sauvera de la mort un nouveau-né et deviendra la nounou de cette petite fille Alice, prénommée Mimmina. Bakhita sera adoptée par le gérant des biens de ce maître, un « homme inclassable, passionné, religieux, chaleureux et humaniste ». Il fera rentrer Bakhita dans un institut canossien, institut religieux qui a pour but l’instruction des pauvres et l’enseignement de la doctrine chrétienne. Elle y découvre la religion catholique et la révélation de sa foi. L’auteur réussit à nous décrire l’évolution de la foi de celle qui devient la « Madre Moretta », la mère noiraude, qui demande à rester en Italie malgré la séparation d’avec Mimmina qui repart avec sa mère,  qui demande le baptême en novembre 1889, puis le noviciat puis devient religieuse à 24 ans : « Je suis fille de Dieu ». Elle meurt en 1947 à l’âge de 78 ans après 53 ans de vie religieuse.
Quel parcours émouvant et quel destin inouï, vrai et méconnu  de cette petite esclave. « Bakhita est fascinante par sa force, son intelligence, son charisme et sa résilience. Comment tant de bonté peut naître de tant de souffrances » (Version Fémina). Quel talent a eu l’auteur pour écrire ce livre « magnifique, ambitieux, inspiré et lumineux ».
A lire absolument.

Lola Lafon : Mercy, Mary, Patty (N°2 oct 2017)

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Lola Lafon : Mercy, Mary, Patty - Actes Sud, 2017 - roman français

 Rares sont mes coups de griffes….

Lola Lafon écrit ici un livre entre documentaire et fiction et on se demande tout au long de la lecture ce qui est vrai et ce qui est fictif !!!
Vous vous souvenez peut-être ou avez entendu parler de cet événement qui passionna l’Amérique dans les années 1970 : Patricia Hearst, dite Patty, la petite fille du magnat de la presse américaine, est enlevée par un groupuscule d’extrême-gauche. Elle épouse la cause de ses ravisseurs, victime du syndrome de Stockholm ou d’un lavage de cerveau. Elle ira jusque commettre un hold-up à mains armées et sera la seule survivante de cette attaque. Elle sera jugée à San-Francisco et internée.
C’est donc pour Lola Lafon un sujet idéal pour décrire l’Amérique de ces années seventies (guerre du Vietnam, FBI, émeutes, évolution de la condition féminine avec l’émancipation de la femme, la lutte des classes entre les nantis et les pauvres).
MAIS pour ce faire, l’auteure se lance dans un tricotage d’un compliqué pas possible avec des événements qui s’emboitent comme des poupées russes sans ordre chronologique. C’est un dialogue entre 3 femmes de générations différentes et dans des lieux différents mais on ne sait jamais qui écrit et qui parle. Le « vous », le « je » et le « elle » doit nous guider mais c’est vraiment complexe.
Elles font toutes les trois une enquête sur cet enlèvement de Patty Hearst et nous écrivent TOUTES leurs recherches. Les trois femmes sont : une universitaire américaine iconoclaste et déjantée qui vient enseigner en France en 1976 et qui doit faire un rapport d’expertise psychologique sur Patricia Hearst. Elle embauche pour l’aider à écrire cette étude une étudiante française très jeune, Violaine qui lit tous les comptes-rendus à ce sujet et écoute tous les enregistrements faits à cette époque et nous les transcrit. Puis en 2015, une amie de Violaine refait cette enquête. Chacune de ces femmes incarne une génération différente et s’engage à sa façon dans la défense de la cause féminine.
Quant aux prénoms du titre du livre, ce sont des américaines enlevées par des Indiens en 1620 et 1704 et qui s’étaient aussi ralliées à la cause de leurs ravisseurs et affranchies : on le comprend en toute fin du récit….
Ce livre aurait gagné à être plus simple car les sujets abordés sont très intéressants…


Jeanne Benameur : L'enfant qui (N°3 oct 2017)


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Jeanne Benameur : L'enfant qui - Actes Sud, 2017 - roman français.

 

Ce petit livre est comme un long poème qui tente de prouver que « seule la nature saura apaiser la douleur d’un enfant en deuil » (Télérama).
Trois personnages dans ce roman :
Le principal est l’enfant, orphelin de mère, qui a compris qu’il s’en sortira au milieu de la terre, l’eau, l’air, les arbres et les animaux, ce qui nous vaut des passages magnifiques et des descriptions de la nature très sensibles. L’errance l’aide à supporter l’abandon ou la disparition (on ne sait) de sa mère.
Le père agriculteur, plutôt taiseux de nature, qui n’a pas su retenir cette femme venue d’ailleurs qu’il aimait, crie sur l’enfant et ne réussit pas à lui parler.
La grand-mère qui n’a pas su comprendre cette femme, une étrangère, une femme du voyage, ne sait pas consoler cet enfant et ne lui prodigue aucune tendresse.
Ce texte est d’une « beauté saisissante », mystérieuse et énigmatique. Il commence par le tutoiement et se termine par le « nous » car nous lecteurs, nous nous sentons impliqués dans ce drame.
Très bon moment de lecture.

Nathalie Rykiel : Ecoute-moi bien (N°4 oct 2017)


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Nathalie Rykiel : Ecoute-moi bien - 2017, Stock - roman français.

« Elles étaient inséparables. Après la mort de Sonia Rykiel, le 25 Août 2016, sa fille, Nathalie, raconte leur amour fou entre rires et larmes » : belle présentation de ce récit dans le journal ELLE.
Nathalie arrive à nous faire comprendre cette relation fusionnelle qui unissait la mère et la fille, une adoration qui va jusqu’à la « dévoration » : c’était une mère écrasante mais attachante que la vie publique grisait : cette créatrice de mode, cette styliste flamboyante qui règne sur le monde de la mode un demi-siècle, orgueilleuse et narcissique, jalouse et folle de liberté, « une intello branchée des années 1970 » (Télérama), avait un côté positif et optimiste extraordinaire pour qui la seule chose importante était « de continuer d’avancer » (« Je me fous du passé, aucun état d’âme, disait-elle). Elle voulait être « la reine du pull-over, la reine de la famille, la reine du monde » dit Nathalie. Elle a inventé une mode et un mode de vie.
Nathalie raconte l’enfant qu’elle était, puis la fille, puis la femme puis la fille se fait mère pour s’occuper de cette maman atteinte d’une maladie de dégénérescence du cerveau. Elle a été mannequin pour sa mère, elle a mis en scène des défilés puis a fini par prendre sa place et devenir présidente de l’entreprise en 2007. Elle s’interroge sur la liberté des femmes et l’idée de transmission. C’est « une ode bouleversante sur la transmission » nous dit un critique de l’Express.
Ce texte est inclassable et l’écriture très originale : l’auteur utilise quelque fois la troisième personne mais le plus souvent la deuxième. Ce « tu » permet à l’auteur de garder sa mère près d’elle et nous aussi nous sentons proches de ces deux femmes extraordinaires. L’auteur fait preuve d’une grande sincérité, utilisant « des mots doux pour dire des choses violentes, avec une délicatesse qui flirte avec la mélancolie ».
« Une histoire d’amour dévorante et nourricière, unique et universelle » (le JDD)