samedi 26 mars 2016

Toni Morrison : Délivrances (n°1 Mars 2016)

livre delivrances     Toni Morrison : Délivrances -ED. Bourgois, 2016 - roman américain.

Dans ce roman, Toni Morrison, auteur afro-américaine de 85 ans, Prix Nobel de littérature en 1993, raconte l’histoire, à l’époque actuelle aux Etats-Unis, d’une jeune femme noire, Bride, de 23 ans, aux cheveux bouclés qui profite de la couleur de sa peau noir bleuté pour devenir « une beauté hors norme » toujours habillée de blanc, roulant en Jaguar, étant devenue directrice régionale d’une petite entreprise de cosmétique.
Sa noirceur ne fut pas toujours un avantage car ce fut une enfant abandonnée par son père et maltraitée par sa mère métisse, la mal nommée Sweetness. A cause de cette couleur de peau, sa mère la considérait comme une étrangère, « pire que ça, une ennemie » dit-elle et la poussera au mensonge. On peut souligner que  le titre original du roman est « God help the child » : que Dieu vienne en aide à l’enfant.  Devenue adulte, Bride passera sa vie à combattre le racisme et à essayer de vaincre son passé. L’auteur « explore les dimensions les plus insidieuses du racisme »
Dans ce roman choral, plusieurs personnages terriblement bien décrits livrent tour à tour par chapitre leurs sentiments, leur passé et leurs blessures en employant la première personne ce qui nous les rend intimes : Bride elle-même notre héroïne ; Sweetness, la mère de Bride ; Brooklyn, sa meilleure amie ; Sofia, ex-taularde ; Booker, son amoureux ; Queen, la tante de celui-ci. « Tous, les personnages sont rattrapés par leur passé. En nous délivrant, la mémoire sert aussi à oublier » (Le Monde).  C’est ce qui se passe ici : chacun a son histoire, son passé qui le marque. Les non-dits et les secrets les minent…
Bride a réussi à avoir une belle vie mais cette vie bascule : Sofia, son ancienne institutrice blanche qui fut condamnée à la suite d’un faux témoignage de Bride, est libérée après 15 ans de prison ; son amant Booker la quitte en disant « T’es pas la femme que je veux »…Elle est dévastée par cette rupture amoureuse. Elle tombe dans une dépression violente et doit assumer des mensonges et des remords. Ce n’est que lorsque la vérité est dite que peut commencer une « renaissance »… « Seule la force de rédemption apporte l’espoir » nous dit Version Fémina.
Ce roman est très contemporain et très « puissant ». Il aborde  tous les thèmes chers à Toni Morrison : le racisme, les blessures d’enfance, la culpabilité, la pédophilie, la violence … et l’amour. Toni Morrison se décrit ainsi : « Je suis une Femme, je suis afro-américaine, et tout ce que j’écris vient de là ». Magnifique roman d’une grande intensité

Philippe Besson : Les passants de Lisbonne (n°2 Mars 2016)

livre les passants de lisbonne 

Philippe Besson : Les passants de Lisbonne- Julliard, 2016 - roman français.



Dans le jardin mélancolique et désert d’un grand hôtel de Lisbonne, Matthieu, homosexuel d’une trentaine d’année, rencontre Hélène, femme plus âgée que lui, belle et triste.
Un dialogue s’instaure entre les deux personnages. Elle, elle vient de perdre son mari dans un tremblement de terre dévastateur à San Francisco. Lui, il vient de recevoir une lettre de rupture de son ami Diego qui vit à Lisbonne. Ils vont s’aider à surmonter leur mal-être depuis le départ de l’être aimé en se faisant de longues confidences sur leur souffrance différente mais aussi cruelle. Hélène dit : « Il y a des degrés dans la souffrance mais pas de concurrence entre les souffrances ». Ils s’expriment en toute confiance, de façon intime et sincère, « sans tabou ni faux semblant ». Hélène raconte en détails le déroulement des faits qui lui ont fait comprendre qu’elle ne reverra pas son mari. Lui raconte son amour pour Diego, son immense chagrin de la séparation mais aussi son attitude volage, « la brutalité du désir » envers d’autres hommes mais aussi d’autres femmes : « parfois c’est une fille mais là encore forcément une inconnue.. »
Ils se retrouvent dans ce jardin ou ils se promènent dans Lisbonne ce qui nous vaut de belles descriptions de cette ville, de ses ruelles tortueuses et en pente, de ses lieux de rencontre, de son cimetière…
Nous lisons donc avec beaucoup d’émotions de belles réflexions sur le deuil, l’absence, l’abandon mais le tout est un peu long et tellement triste…
A lire quand on est en forme.

Serge Joncour : L'écrivain national (n°3 Mars 2016)

livre l'ecrivain national  Serge Joncour : L'écrivain national -  Flammarion, 2014 ; J'ai lu, 2015 - roman français.

 Dans ce roman, Serge Joncour aborde les thèmes qu’il aime : à travers une enquête sur une disparition, le héros, que l’on présume être l’auteur, rencontre un bel amour et il nous écrit une passionnante réflexion sur le statut d’écrivain.

Etant invité dans un village rural de Bourgogne pour un mois en résidence d’écrivain où il pense faire une pause et prendre un repos mérité, il lit à son arrivée le journal local. Il y voit la photo d’une jeune fille. Il est subjugué et ému par la beauté de ce portrait et apprend que le compagnon de cette jeune femme est suspecté d’être mêlé à la disparition d’un octogénaire cinglé mais riche que l’on nomme « Le Commodore ». Il veut retrouver cette femme et commence à faire son enquête. Il est de ce fait mêlé à l’affaire qui remue tout le village car ce disparu avait vendu son terrain pour la construction d’une scierie industrielle. Cette implantation divise le village : les ruraux veulent garder leur tradition avec leur ancienne scierie, le maire y voit un intérêt pour la vie du village et ses propres profits…
Cependant, en même temps notre auteur rencontre ses lecteurs, fait des conférences et des séances de dédicaces, est invité par le Maire qui le nomme « notre écrivain », « l’écrivain national ». il écrit des pages magnifiques sur l’écriture, l’inspiration, le statut de l’écrivain et répond aux questionnements des lecteurs : un écrivain doit-il vivre tout ce qu’il écrit ? Peut-il tout se permettre ? Il mêle dans ce roman sa propre vie et d’autres vies fictives : « l’écrivain s’en sort en mixant le réel, l’étrange, le personnel, l’universel, le local, le global, le comique et le tragique » (Lire)
Ce roman m’a beaucoup plu par la variété des sujets abordés : l’amour, la rumeur, la découverte du monde rural, le travail d’écrivain, l’actualité, la lutte entre les ruraux et les nouveaux venus. C’est un peu un roman noir tant l’atmosphère est par moment étouffante et lourde mais le style est subtile et aussi plein d’humour.

Thomas B. Reverdy : Il était une ville (n°4 Mars 2016)

livre il etait une ville 

Thomas B. Reverdy : Il était une ville - Flammarion, 2015 - roman français



Un article « Welcome in Détroit » m’a interpellée : des journalistes sont allés à Détroit, l’ancienne Motor City, capitale de la voiture, l’une des emblèmes de « l’american way of life » pour constater l’effondrement de cette ville frappée par la crise en 2008 et mise en faillite en 2013. « Le temps de la voiture reine est loin ». Il est écrit dans cet article : « La ville abrite encore de belles braises que nous sommes allés dénicher et, note d’espoir, pour ces ruines,  le temps des artistes et des créatifs est venu : on achète des maisons à très bas prix, on les retape de ses propres mains » : espoir donc de renaissance de cette ville, ce qui fait plaisir. Cet article m’a donné l’envie de lire le roman de T. B. Reverdy qui se passe à Détroit.
La ville de Détroit est donc le héros de ce livre. Les habitants qui le peuvent ont fui cette cité sans avenir : rues et quartiers pétrifiés, maisons abandonnées, fenêtres condamnées par des planches, immeubles squattés. L’auteur y fait vivre quatre personnages principaux : Eugène, jeune ingénieur français qui travaille pour « l’Entreprise », venu ici mettre en place un projet innovant et se rend vite compte de l’imposture ; un groupe de gamins désœuvrés sous l’emprise d’un plus âgé, Stro, qui fait du sale boulot pour un caïd local. Charlie fait partie de cette bande et cet adolescent fugueur est très bien décrit ; la grand-mère de Charlie, la vieille et pieuse Georgia, qui préviendra la Police de la disparition de son petit-fils : magnifique grand-mère… ; un inspecteur de police Brown qui essaie de faire régner un peu d’ordre dans cette jungle urbaine et qui est chargé de l’enquête sur la disparition mystérieuse des enfants et ados.
Tous ces personnages sont merveilleusement décrits « avec une magistrale richesse de vocabulaire et d’images » (BPT) « dans une prose charnelle, infiniment pudique et sensible ». Le  Monde dit : « La désolation est racontée avec délicatesse et sans esbroufe ».
 C’est une sorte de thriller psychologique bien ficelé, envoûtant et inquiétant dans une ambiance d’ « apocalypse lente » avec des personnages bien caricaturés. Télérama écrit : « Reverdy exprime de manière troublante la poésie mélancolique de ce monde à l’envers où flottent malgré tout des étoiles ».