dimanche 22 mars 2015

François Cheng : Assise, Une rencontre inattendue (n°1 Mars 2015)

François Cheng : Assise, Une rencontre inattendue - Albin Michel, 2014 - témoignage.

livre assise ; une rencontre inattendue



François Cheng, né en Chine en 1929, arrivé en France à l'âge de vingt ans, écrit ce petit livre court en français. Il nous explique sa vie et surtout comment sa vie a basculé en allant à Assise.

Durant l'été 1961, il est une jeune homme « en perdition » : « Je connais la solitude extrême et l'extrême dénuement » dit-il. Il accompagne un groupe en Italie à Assise et il y découvre « son lieu » : il ressent un éblouissement qui mettra fin à cet état d'exilé qu'il ressentait jusqu'alors. Il admire cette « blanche cité perchée à flanc de colline, suspendue entre terre et ciel ». Je pense que tous les visiteurs d'Assise ressentent une vive émotion en découvrant ce lieu magique.

Par vénération pour « le plus grand Saint de l'Occident » Saint François d'Assise, il choisira le prénom de François lorsqu'il recevra la nationalité française. Il adore le saint, mais aussi l'écrivain, le troubadour, le moine, le poète. Il est habité par ce Saint du Moyen-âge qu'il aime appeler « le grand Vivant ».

La beauté de ce livre vient du cheminement et de la méditation que nous fait partager l'auteur lorsqu'il se trouve dans la Basilique supérieure devant les fresques de Giotto, dans la Basilique inférieure, devant le « portioncule » de la Basilique de Sainte Marie des Anges et dans le cloître de San Damiano dédié à sainte Claire, amie de Saint François.

« C'est avec le « Cantique des Créatures » que se clôt ce petit livre formidable d'intelligence spirituelle » (critique de La Croix)

Russell Banks : Un moment permanent de la famille (n°2 Mars 2015)

UN MEMBRE PERMANENT DE LA FAMILLE

Russell Banks : Un moment permanent de la famille - Actes Sud, 2015 - nouvelles


« Ce qui m'intéresse dans une nouvelle, c'est l'instant précis où la vie du personnage bascule » dit l'auteur. Ainsi il nous écrit dans ce livre douze nouvelles aussi savoureuses et variées les unes que les autres, des moments d'intimité intense avec ses personnages. Ces nouvelles se passent du Nord de l’État de New York à la Floride, deux régions que l'auteur connaît parfaitement, habitant lui-même six mois d'un côté, six mois de l'autre.

L'auteur aborde les thèmes récurrents que nous connaissons dans ses romans précédents (le dernier étant «Lointain souvenir de la peau» paru en 2012, fiche dans ce blog) : questions du divorce, des relations compliqués des couples, des enfants qui s'éloignent, problèmes de santé, de dépression, d'addiction à l'alcool ou aux drogues, descriptions des milieux sociaux où règnent la misère, la solitude, le remord et de situations difficiles dans lesquelles on perçoit le doute, l'inquiétude, la tension.

Un ancien Marine fait un braquage à main armé afin d' avoir de l'argent pour se soigner et vivre... Un chien est tiraillé entre les maisons de deux divorcés et l'on s'aperçoit que ce chien était le lien entre les membres de cette famille désunie... Une femme noire se retrouve enfermée dans une concession automobile, menacée par un chien méchant... Deux nouvelles sont sur « les oiseaux des neiges » : ces retraités qui quittent tout pour une autre vie : une veuve joyeuse qui part habiter un appartement dans les barres d'immeubles de Miami ou un vieux couple vivant dans un camping-car, tous après avoir vécu dans les banlieues Nord de l’État de New York… Un artiste reçoit une grosse somme d'une institution et va voir la soirée, où il l'annonce à ses copains, se transformer en cauchemar... Un homme et une femme qui ont failli avoir une relation des années plus tôt se retrouvent « encombrés de leurs regrets »...

L'auteur ne juge pas ses personnages mais simplement en fait des descriptions époustouflantes de vérité : on les imagine tous immédiatement et on entre dans leur intimité, leur secret, leur état psychologique du moment. « L'art de raconter un destin en quelques traits », dit François Busnel. On reste quelques fois un peu frustré de ne pas savoir la suite de l'aventure….

« L'écriture est tendue, acérée, suggestive » (la revue Lire). Le style est épuré, précis. Certaines scènes sont tragi-comiques mais toutes sont intenses, émouvantes, inattendues.

Voici donc « le meilleur reportage sur la vie quotidienne des classes moyennes, blanches et noires, en Amérique » : un excellent moment de lecture.




Joyce Maynard : L'homme de la montagne (n°3 mars 2015)

Joyce Maynard : L'homme de la montagne - Philippe Rey, 2014 - roman américain.

livre l'homme de la montagne

Les héroïnes de ce roman sont deux sœurs, Rachel et Patty, en plein passage de l’enfance à l’adolescence avec tous ses mystères : changement de comportement, observations de l’évolution du corps, imagination débordante, tourments sentimentaux, le tout au milieu de la nature car elles habitent à l’orée d’une forêt en Californie. Leur père est un célèbre inspecteur de police, magnifique homme « aux cheveux de geai et blouson de cuir », séparé de leur mère dépressive avec qui elles vivent dans l’attente d’une visite de leur héros de père. Celui-ci doit élucider l’énigme de « l’homme de la montagne », étrangleur de jeunes filles, laissant ses victimes nues, chevilles attachées et yeux scotchés d’un ruban adhésif, crimes commis dans la montagne derrière la maison de nos deux adolescentes. Elles vont essayer d’aider leur père en enquêtant, surtout Rachel qui a « des visions » de la scène du meurtre au point de croire avoir découvert le criminel.

L’auteur nous restitue à merveille la peur et le sang froid de nos deux héroïnes, leur culot et leur débrouillardise, leur idée assez réelle sur la vie de leur mère et de leur père qui ne les laissera jamais tomber. Joyce Maynard écrit les pensées et le langage des deux filles avec des apartés très comiques et criantes de vérité. Elle a vraiment « l’art de sonder les êtres en mutation ».

Le père, inspecteur, culpabilise de ne pas mettre la main sur le tueur jusqu’à en tomber malade. Mais ne culpabilise-t-il pas pour d’autres faits ?

Le dernier chapitre est extrêmement bien ficelé : Joyce Maynard nous donne l’illusion que nous lisons une histoire véridique car Rachel devient écrivain et écrit l’histoire que nous venons de lire en la finissant de façon magistrale, en nous tenant en haleine jusque la dernière page.

Ce livre est comme un roman d’apprentissage sur l’adolescence mais c’est aussi un roman policier angoissant, intrigant jusque la fin.





Alice Zeniter : Sombre Dimanche (n°4 Mars 2015)

livre sombre dimanche

Alice Zeniter : Sombre Dimanche - Albin Michel, 2013 - vient de paraitre en poche.


L'auteur nous plonge dans le quotidien d'une famille hongroise habitant depuis plusieurs générations la même maison en bois, posée au bord des rails près d'une gare à Budapest. Nous sommes en Hongrie sur fond d'occupation russe (40 ans) puis de fin de communisme.

Cette famille n'est pas comme les autres : on la dirait maudite… Le grand-père, son fils Pal et sa femme Ildiko, leurs deux enfants, Agi et Imré vivent sous le même toit. Le récit progresse lentement en suivant le cours du temps et nous allons suivre la vie d'Imre, gamin timide dans les années 1980 puis adolescent mélancolique au moment de l'ouverture des frontières en 1989. « La Hongrie post-URSS s'américanise et le laisse perplexe ». L'auteur nous décrit l'atmosphère lourde, les histoires dramatiques, les sentiments tristes, les secrets que supportent cette famille qui a un destin d'une noirceur totale. « Ils sont englués, écrasés par le poids de l'Histoire et de l'occupation ». Ils se recroquevillent sur leur passé douloureux. Les non-dits se dévoilent avec parcimonie pour être confessés par le grand-père dans les dernières pages.

Nous suivons avec les personnages la chute du mur de Berlin et les espoirs qu'elle soulève. L'Ouest fait rêver les héros du roman mais les quelques joies et émancipations sont sans issue : Agi vivra quelques temps avec un français, Imre fera connaissance d'une allemande... « Même la découverte de l'amour et de la sexualité, même l' amitié sont teintées de lâcheté et de médiocrité ». Ces deux jeunes gens sont figés malgré les événements : ils ne sont pas armés et prêts pour choisir une autre vie.

Certes ce livre est « sombre » mais quelle écriture et quel talent possède l'auteur pour décrire les personnages, les situations, les sentiments. Chaque ligne est écrite simplement, avec peu de mots mais un style particulier et émouvant. L'auteur nous décrit son pays tourmenté avec tendresse et réalisme.