lundi 21 décembre 2015

Mathias Enard : Boussole ( n°1 Déc 2015)

livre boussole   Mathias Enard : Boussole -Actes Sud - 2015 - roman français Prix Goncourt 2015.

Impossible d’écrire une critique ou un résumé de ce livre tant il est dense et tant d’articles sont parus à son sujet MAIS je peux dire que je me suis laissée bercer par ces longues phrases extraordinaires qui nous emmènent dans des lieux magiques, nous donnent l’impression d’entendre de la musique, nous initient à la littérature orientale et nous plongent dans la vie des chercheurs.
Franz, qui est le narrateur de ce livre, est un musicologue viennois. Il subit une nuit d’insomnies et se remémore ses moments passés avec Sarah avec qui il découvrit l’Orient et l’amour. Lui, il consacre sa vie à étudier les liens entre la musique orientale et la musique européenne le plus souvent en restant à Vienne « jadis point de friction entre l’Europe chrétienne et le Grand Turc ». Ses expéditions lointaines ne l’ont pas rendu moins casanier et « fils à maman ». A l’inverse, Sarah, érudite et universitaire nomade, aventurière, est éternellement ailleurs. Se retrouveront-ils ???

Je cite quelques phrases de critiques :
« Des cataractes d’informations sur des lieux, des êtres, des idées, des œuvres s’abattent sur le lecteur ainsi affranchi des  trombes d’érudition » (La Croix).
« Avançant de références savantes en souvenirs de voyages et réminiscences de colloques, il entraîne le lecteur à Istanbul, Téhéran, Damas, Alep… » (Le Monde).
Au milieu de ces pages savantes où nous rencontrons des musiciens tels Liszt, Beethoven, Bach, Mendelssohn, des écrivains tels Rimbaud, Verlaine, Balzac, Flaubert, des archéologues typés, l’auteur écrit des passages extrêmement drôles sur le comportement de Franz, si mal à l’aise, si timide, si réservé…et nous fait des paragraphes passionnants sur des sujets très variés tels que, par exemple : la façon de fumer le narguilé, une longue réflexion sur l’homosexualité, une description de ses nuits d’amour, un inventaire de découvertes dans un grenier, le portrait de l’éclatante Sarah et tant d’autres.
« Le lecteur peut se perdre dans le foisonnement du texte et les méandres de la pensée de Franz. Mais il lui suffit d’attendre la phrase suivante pour reprendre son souffle avec lui et l’accompagner jusqu’au bout de sa nuit » (Le Monde). C’est ce que j’ai fait et je me suis laissée envoûter par ce texte extraordinaire : « Le magnétisme de la prose envoûtante de Mathias Enard est à son meilleur » (La Croix)

Je peux conclure en citant un critique de Télérama : « Une boussole, vraiment ? Ce roman d’une extraordinaire richesse est plutôt un tapis volant : il nous fait voyager dans les textes de tous les pays, nous convie à suivre Flaubert ou Chateaubriand, voyageurs d’Orient et nous rappelle aussi qu’à Palmyre, des fous détruisent des édifices. Un roman d’amour donc, charnel et passionné par tout ce que la rencontre avec l’Orient peut apporter de poésie et de savoirs. »

On peut se rappeler  deux superbes romans que Mathias Enard a écrit : « Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants » (2010, prix Goncourt des Lycéens) sur Michel-Ange et « Rue des voleurs » (2012) qui se passe à Tanger.




Geneviève Chauvel : Le peintre de la reine (n°2 Déc 2015)



Geneviève Chauvel : Le peintre de la reine, Elisabeth Vigée Le Brun - Pygmalion, 2003 - roman biographique

Jusqu’au 11 janvier 2016, le musée du Grand Palais à Paris expose 150 œuvres de Louise Elisabeth Vigée Le Brun. Cela m’a donné envie de relire ce superbe roman biographique paru en 2003.
Geneviève Chauvel nous trace le parcours extraordinaire et la vie mouvementée et exaltante pour une Femme née en 1755 et décédée en 1842.
Dans cette exposition, on est ébahi « devant la jeunesse, la malice des visages si vivants, la sensualité de la peau découverte, la touchante beauté des modèles » (La Voix du Nord) et aussi devant les autoportraits si frais et séduisants  de l’artiste, principalement celui avec sa fille dans les bras (1786). (ci-dessus)

Ce roman nous décrit une femme battante, un peintre talentueux. Son début de carrière est difficile car son père est mort et les revenus familiaux sont maigres « malgré tous nos efforts de parcimonie » dit-elle et bien sûr puisqu’elle est une femme… Peintre à 14 ans car fille d’aquarelliste et enfant extrêmement douée, Louise Elisabeth obtient très vite de nombreuses commandes de portraits, d’abord de personnes de son environnement puis de la cour sous l’ancien régime. 

Elle est reconnue comme Grand Peintre en 1783, étant acceptée à l’Académie Royale de Peinture. Elle devient le peintre favori de la reine Marie-Antoinette pour qui elle fait, entre autres, le fameux tableau « Marie-Antoinette et ses enfants » en 1787. L'auteur nous rapporte les moments d'intimité et les discussions que l'artiste peut avoir avec ses modèles. Ces moments privilégiés sont passionnants à connaître.
 Elle sera obligée de fuir Paris à la révolution. Son exil durera 13 ans et lui ouvrira la porte de toutes les académies : Rome, Naples, Milan, Berlin, Saint-Pétersbourg. De retour en France en 1802, elle se sent mal à l’aise dans ce nouveau Paris et part pour Londres pour revenir finir sa vie à Louveciennes. Elle y écrira  ses mémoires « Les Souvenirs » qui servent de trame à ce roman et dont l’auteur transcrit des passages.

Pour conclusion, on peut citer cette belle phrase qu’elle disait souvent pour exprimer la joie qu’elle a toujours éprouvée en travaillant : « Peindre et vivre n’a jamais été qu’un seul et même mot pour moi ».

Frédéric Beigbeder : Oona & Salinger (n°3 Déc 2015)

livre oona & salinger 

Frédéric Beigbeder : Oona & Salinger -Livre de poche, 2014 - roman français



« A partir de la rencontre entre Salinger et Oona O’Neill, Frédéric Beigbeder imagine une « love fiction » au charme fou ». Ce titre d’article du magazine ELLE m’avait plu, d’autant que Salinger et son « Attrape-cœurs », une des œuvres les plus célèbres du XXème siècle, m’a toujours subjuguée.

J’ai lu, il y a peu (fiche dans ce blog), deux livres le concernant : « Et devant moi, le monde », récit de Joyce Ménard qui vécut avec lui à l’âge de 18 ans en 1972 et « Mon année Salinger », document de Joanne Smith Rakoff dans lequel l’auteur raconte comment elle a travaillé dans l’agence littéraire qui s’occupait du mystérieux Salinger à New York dans les années 1990.

Ici Frédéric Beigbeder imagine donc la rencontre de J.D. Salinger à l’âge de 21 ans et Oona O’Neill, 15 ans à New York en 1940. Elle, elle est la fille du prix Nobel de littérature en 1936 Eugène O’Neill. Elle est belle, gaie, attirante. Lui, il essaie d’être écrivain. Ils se voient régulièrement dans un bar enfumé et commence une idylle mais « ils ne se marieront jamais et n’eurent aucun enfant », nous dit l’auteur. Elle le fait languir, joue les mondaines et leur relation commence quelques mois avant Pearl Harbour et leurs chemins vont vite s’éloigner : elle part en 1942 à Hollywood espérant y trouver la gloire mais y rencontrant l’amour, puisqu’elle épousera Charlie Chaplin de trente-six ans son aîné. Lui part comme sergent, débarquant en Normandie et revient en ancien combattant, traumatisé par la guerre : il est l’un des premiers soldats américains à entrer dans le camp de Kaufering, près de Dachau et découvre l’horreur. Deux destinées bien différentes pour nos deux héros.
Le romancier imagine de façon talentueuse les rendez-vous, les discussions, les séparations, les lettres échangées, la rencontre de Oona et Charlie Chaplin, le tout en faisant des commentaires personnels plein d’humour sur sa propre vie.

Je suis tombée sous le charme de ce roman bien écrit, audacieux, touchant et profond, tant ce récit parait « crédible ».