mercredi 17 décembre 2014

Patrick Modiano : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

livre pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

Patrick Modiano : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier - Seuil, 2014 - roman français


L’écrivain Patrick Modiano a reçu le 10 décembre 2014 du roi de Suède, le plus prestigieux des prix littéraires, le prix Nobel de littérature, au Stockholm Concert Hall devant 1250 invités. L’Académie suédoise a distingué l’écrivain et son œuvre « où la petite musique rejoint la grande » et « pour l’art de la mémoire avec lequel il a fait surgir les destins les plus insaisissables et découvrir le monde vécu sous l’Occupation nazie ». Il est le 15ème lauréat français de ce prestigieux prix, J. M. G. Le Clézio, l’ayant reçu en  2008.    Il dira, entre autre dans son discours : « J’ai des liens très fort avec la Suède. La première fois qu’un de mes romans a été traduit, c’était en suédois et j’ai un petit-fils suédois »…Il reçoit ce prix « comme un coup de baguette magique » dit-il.

C’est évidemment « dans une rue de Paris » que le romancier a appris la nouvelle qui l’a « touché », même si elle était « …bizarre ». Il parait « tout embarrassé » de cet honneur. Beaucoup d’articles ont paru sur lui à cette occasion bien sûr mais il est amusant de voir comme il désarçonne les journalistes. Je reprends quelques passages de la rencontre de Patrick Modiano avec l’Académicien Jean-Marie Rouart : « Il reste immuable : long jeune homme évanescent, incrédule devant la bourrasque du succès, le geste imprécis avec de grands bras qui font des mouvements de sémaphore…Il demeure tout aussi empêtré dans ses phrases que dans son triomphe. Son accueil est désarmant de gentillesse et de prévenance…Qu’importe, après tout, qu’il fasse le désespoir des journalistes s’il fait le bonheur des lecteurs…Il parle comme on écrit, en raturant les mots, en raturant les phrases, en corrigeant sans cesse son expression, en la biffant… ».

L’auteur est « un somptueux mélancolique » et un solitaire qui se cache. D’ailleurs en Mai 2013, paraissaient ses œuvres réunies en un volume dans la collection « Quatro » : sont rassemblés dans ce livre 10 romans et des documents présentant l’auteur avec photos familiales et confidences mais l’auteur disait alors qu’il craignait « que les documents assemblés en début d’ouvrages viennent anéantir le flou, si beau, de ses textes. Qu’un trop plein de lumière fasse fuir les ombres qui les peuplent ». Patrick Modiano nous parait en effet très solitaire : ses personnages lui servent-ils de compagnie « comme des ombres surgies de son passé, transfigurées par le processus d’autobiographie, rêvées ou imaginaires ? ».  Dans les derniers textes du « Quatro », « la frontière entre vécu personnel et mémoire imaginaire s’efface dans une même incertitude, à la manière d’images filmiques ». Patrick Modiano n’a t-il pas déclaré qu’il n’avait « jamais eu  l’impression d’écrire des romans mais de rêver des morceaux de réalité qu’il essayait ensuite de rassembler tant bien que mal ? » Incroyable, NON ??

Si vous n’avez pas l’habitude de lire des « Modiano », ce n’est peut-être pas idéal de commencer par « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier » qui, pour moi, reste une histoire floue sur le thème du souvenir que l’on ne peut effacer de sa mémoire. Si vous aimez cet auteur, vous retrouverez tout ce que l’on peut aimer chez lui : quête identitaire, chasse aux souvenirs, héros mélancolique et solitaire, ambiance nonchalante, douceur diffuse, le tout dans une écriture pleine de charme et envoûtante.

Le narrateur, écrivain solitaire d’une soixantaine d’années, vivant dans une réclusion volontaire, est joint au téléphone par un couple étrange qui veut le rencontrer pour lui remettre en mains propres son carnet d’adresse qu’il avait perdu dans le train. Au téléphone, « la voix molle et menaçante » se fait pressante. Sur ce carnet figure nom et adresse d’un personnage que veut connaître le couple et qu’a connu notre écrivain. Ce nom fait ressurgir en lui un passé qu’il avait cru oublié et qui est enfoui dans une valise mais « par chance » il en a perdu la clef… Que faire de ses souvenirs quand ils se dérobent « comme des bulles de savon ou les lambeaux d’un rêve ?». Les souvenirs ramènent notre héros aux années 50 quand il est enfant : « mystérieuses allers-venues, visites nocturnes, murmures comploteurs, crissements de pneus sur les graviers » dans une maison près de Paris, vie parisienne pendant laquelle l’enfant erre dans les rues avec dans sa poche un papier avec son adresse « Pour que tu ne perdes pas dans le quartier », une femme qui lui sert de mère de substitution et vraisemblablement plu tard d’amante ??? Que de mystères, que de secrets enfouis, que d’ombres du passé…La fin du livre est floue mais révèle la grande solitude et le désarroi d’enfant abandonné qu’il fut probablement, l’auteur mélangeant souvent histoire personnelle et création littéraire. Le critique de Match conclura en disant : « Ces souvenirs qui se dérobent sont ceux d’un enfant qui ne veut pas se rappeler l’abandon qui l’a plongé dans la peur ».

J’ai beaucoup aimé les phrases courtes et simples avec des mots qui sèment le trouble et cette brume romanesque qui n’appartient qu’à lui. J’ai beaucoup aimé aussi le Paris des années 50 qui se superpose au Paris d’aujourd’hui. J’ai beaucoup aimé la mélancolie, « la petite musique triste qui accompagne ses personnages semblant appréhender l’éclat du soleil ou la clarté trop vive de la réalité »….On aura compris : j’aime beaucoup l’œuvre de Patrick Modiano.

 

 

Dominique Bona : je suis fou de toi

livre je suis fou de toi ; le grand amour de paul valery

Dominique Bona : Je suis fou de toi - Grasset, 2014 - biographie.

Le 23 Octobre 2014, Dominique Bona a été la huitième femme à entrer à l’Académie Française, superbement habillée selon les règles mais dans une tenue « Chanel haute Couture » quand même….Dominique Bona est une critique littéraire très reconnue et appréciée et un écrivain que j’aime beaucoup pour ses biographies dans lesquelles elle nous fait découvrir le côté intime et caché de ses personnages. Elle dit d’ailleurs cette phrase amusante : « J’ai arrêté d’écrire des fictions quand j’ai compris que la vraie vie est infiniment romanesque. La réalité dépasse presque la fiction. Ecrire des biographies me permet de vivre d’autres vies que la mienne ». On ne peut oublier ses remarquables biographies sur Stephan Zweig, Camille et Paul Claudel, Berthe Morisot et Clara Malraux dont j’ai fait des fiches dans ce blog.

Ici elle relate la vie et le dernier grand amour de Paul Valéry : Jeanne Voilier (ou Loviton). La première partie du livre met en parallèle  leurs deux vies.

Lui est le poète de la raison et de la volonté, de la lucidité. Toute sa vie il a lutté contre les passions. Il se veut être un bon mari (il a épousé Jeannie en 1900), un bon père et grand-père de famille, un bon professeur au Collège de France, un poète couvert de gloire, un académicien depuis 1925. C’est un travailleur acharné. Il a quelques aventures particulièrement avec l’écrivain Catherine Pozzi avec qui il a une belle complicité intellectuelle dans l’entre deux guerre mais cela ne met pas en péril sa vie de famille.

Elle, Jeanne Voilier, est une femme émancipée pour l’époque : elle est avocate, femme d’affaire car éditrice avec son père, divorcée, libre, indépendante et…infidèle.

Leur rencontre a lieu en 1938. Commence alors la deuxième partie du livre. Lui est âgé de 66 ans : « le cœur de l’écrivain est vite emporté par la belle qui sait recevoir en déshabillé de soie ». Elle a 34 ans. Elle est éblouie. «C’était un grand esprit, une intelligence supérieure mais aussi un homme plein de charme et d’humour » dit Dominique Bona dans un article du Figaro. « Il l’a prise dans ses bras, il l’a aimée. Jeanne est sa drogue » nous dit Dominique Bona. Paul aime le luxe et la beauté qui entourent Jeanne. L’amour qu’il éprouve pour elle dépasse en intensité tout ce qu’il a vécu jusque-là  mais Jeanne l’aime-t-elle autant ? On peut en douter car on devine qu’elle a d’autres amants…Leur passion et leurs rencontres sont évidemment contrariés par la guerre qui les sépare. Valéry note avec inquiétude « des signes d’attiédissement ». L’auteur nous décrit si bien comment les événements influencent leur histoire d’amour et tourmentent Paul Valéry qui vieillit et souffre dans son corps et dans son être alors que Jeanne, plus jeune, surmonte les épreuves plus facilement.

Lentement leur relation se dégrade. On apprend que Jeanne voit toujours Jean Giraudoux. Le sait-il ? Puis elle rencontre l’éditeur Robert Denoël qui sait la protéger, ce qu’elle recherche depuis la mort de son père. On se sent triste lorsqu’on apprend que le véritable homme de la vie de Jeanne fut cet éditeur, Dominique Bona ayant eu le talent de nous attacher à Paul et Jeanne. Le Dimanche de Pâques 1945, elle lui déclare son intention d’épouser l’éditeur. C’est le coup de grâce : il se laissera quasiment mourir : « Tu sais bien que tu étais entre la mort et moi » lui dit-il…Il meurt désespéré le 20 juillet 1945 et a des funérailles nationales.

Il est intéressant de savoir que Dominique Bona a pu compulser les 452 « missives enflammées » écrites par le poète entre 1937 et 1945 et récemment publiées qui « nous montre un Paul Valéry amoureux fou jusque dans la niaiserie. Il est à ses genoux, implorant, suppliant, regrettant, jouissant des quelques heures volées » (Figaro). On dit que les lettres envoyées à Catherine Pozzi ont été brulées à sa demande à sa mort en 1935 mais elles seraient, parait-il retrouvées ???. L’auteur a aussi évidemment étudié les « Cahiers » de Paul Valéry et les 150 poèmes écrits par le poète à sa muse. Elle en joint quelques-uns dans la dernière partie de la biographie, ce qui donne un plus à ce livre.

J’ai beaucoup aimé la façon avec laquelle Dominique Bona nous fait entrer dans l’intimité des deux personnages et nous décrit merveilleusement le milieu des écrivains de la première moitié du 20ème siècle et celui des peintres, Berthe Morisot étant parente de la femme du poète. Sa plume est toujours aussi élégante. « Elle a mis toute son érudition, sa sensibilité et son élégance dans cette biographie passionnée » dit un critique.

Pascale Hugues : La robe de Hannah

livre la robe d'hannah


Pascale Hugues : la robe de Hannah - Ed Les Arènes,2014 - Document

Pascale Hugues est une journaliste française et habite Berlin depuis vingt ans. Elle mène une enquête sur les personnes ayant habité sa rue (« rue tranquille dans beau quartier ») depuis sa construction en 1904 à l’extérieur de Berlin dans une banlieue appelée Schöneberg. Actuellement cette rue est dans un quartier résidentiel et commerçant dans la partie Sud-Ouest de Berlin.

« J’ai passé beaucoup de temps à observer ma rue et à comprendre mon pays d’adoption à travers elle : elle m’a appris les rapports des Allemands à la nature, à l’ordre, à l’autorité, à leur passé difficile », nous dit-elle. En effet nous allons découvrir des personnes très différentes à diverses époques.

En 1904, les entrepreneurs font comme à l’époque « luxe à l’avant, simplicité à l’arrière » et les immeubles disposent d’un « niveau de confort incomparable ». La rue est détruite à 80% durant la Guerre 39-44, reconstruite rapidement  et réhabitée par des personnes plus modestes mais la rue reste passante et active des années 1960 à 1989 puis une nouvelle vie l’anime après la chute du Mur. C’est dans ce quartier que se situe le fameux KaDeWe, grand magasin dans les années 1950 et maintenant le deuxième plus grand centre commercial d’Europe !!!

Nous allons suivre la vie de plusieurs propriétaires et locataires d’appartements d’immeubles de cette rue. L’auteur réussira à en trouver plusieurs : Elle rencontre, à Berlin, Lilly qui vivra dans cette rue dès 1920 avec ses parents puis avec son mari et son fils. Ils sont de familles juives bourgeoises et elle aime raconter sa vie mondaine avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir puis comment ils ont échappé à la déportation en travaillant à l’hôpital de la Iranishe Strasse, la seule institution juive ayant survécu à la période nazie. Il faut savoir que 106 juifs de cette rue furent déportés et exterminés durant  cette période. Elle rencontre, à Haïfa, Miriam Blumenreich dont la fille était éducatrice de jeunes enfants dans cette rue et qui ont émigré vers la Palestine. Elle rencontre, en Californie, John Ron habitant désormais dans une résidence pour personnes âgés : il a travaillé dans un kibboutz en 1942, y apprend la mort de sa mère en déportation et partira aux USA sans jamais revenir à Berlin. Il conserve des souvenirs précis de la période heureuse de son enfance dans sa rue. Elle rencontre, à New York, Hannah, devenue professeur de danse et porteuse de la fameuse « robe de Hannah » qu’elle donne à l’auteur, 73 ans après l’avoir portée….Elle rencontre, à Berlin, Frau Soller, ancienne vendeuse au fameux magasin KaDeWe…

L’auteur nous fait ainsi revivre la vie de Berlin au 20ème siècle. La vie de chaque personnage se lit comme un roman mais beaucoup de passages sont trop longs et trop détaillés et on a un peu de mal à se repérer dans le temps. Les paragraphes en Allemand sont évidemment traduits et imprimés en italique mais il y a encore beaucoup de mots et phrases en allemand ce qui doit rendre la lecture difficile pour des lecteurs ne connaissant pas la langue.