mardi 25 novembre 2014

David Foenkinos : Charlotte

livre charlotte

David Foenkinos : Charlotte - Gallimard, 2014 - roman français


Comme beaucoup de lecteurs, j’ai adoré les 13 livres fantaisistes, genre comédies douces-amères, de cet auteur portés par une écriture fluide, légère et pleine d’humour dont le roman, La Délicatesse, écrit en 2009 et adapté au cinéma en 2011.

Dans ce livre, nous allons retrouver sa belle écriture mais plus singulière : ce livre est « comme un chant en vers libres », un genre de poèmes en prose avec, donc, de courtes phrases terminées par un point : « J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer. Alors j’ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi. » nous dit-il dans ce roman puisqu’il y mêle l’histoire, en notant  ses propres réflexions, recherches et investigations.

MAIS ici il a changé de sujet : il y a une dizaine d’années, David Foenkinos fait « une rencontre illuminante ». Il éprouve un genre de coup de foudre pour l’artiste-peintre méconnue Charlotte Salomon en voyant une exposition de ses œuvres. Il décide, après de nombreuses recherches au sujet de sa découverte de nous faire partager sa passion.

Cette femme juive est née en 1917 à Berlin dans une famille bourgeoise. Son enfance puis sa vie sont marquées par une succession de tragédies et de malédictions. On ressentira dans toute son œuvre le mal-être de la jeune femme suite à ces drames. Jeune fille, elle tombera amoureuse du professeur de chant de sa belle-mère. Il sera son mentor et son grand amour. Il l’aidera beaucoup lorsque, malgré sa judéité, elle rentre aux Beaux-Arts de Berlin en 1937. Elle reprendra alors confiance en elle grâce à sa passion pour cet homme et pour la peinture. Elle dit elle-même que la rencontre avec Alfred lui procure « l’esquisse d’une folie – une folie douce et docile, sage et polie, mais réelle ». Elle doit s’enfuir de l’Allemagne nazie en 1938 pour le Sud de la France où elle rejoint ses grands-parents, laissant parents et amour (elle n’aura plus jamais de nouvelles d’Alfred). Elle est incarcérée avec son grand-père en 1940 puis relâchée, ensuite elle est arrêtée et sauvée par un policier en 1942.

C’est à ce moment-là qu’elle sent l’urgence de s’exprimer par la peinture. Elle fera en peu de temps 800 gouaches autobiographiques légendées de textes et de partitions, « une œuvre lumineuse, pleine de grâce et de légèreté ». Elle intitulera ce travail « Vie ? ou Théâtre ? ». En confiant ses œuvres à un ami avant d’être déportée, elle dira « C’est ma vie » « Cela rejoint la définition de Kandinsky « créer une œuvre, c’est créer un monde » nous écrit David Foenkinos.

 Elle rencontre à cette époque son deuxième amour qui deviendra son mari, Alexandre Nagler et c’est enceinte, à l’âge de 26 ans, qu’elle sera gazée an 1943 à Auschwitz.

David Foenkinos nous offre un superbe portrait de femme et d’artiste avec ce récit sobre et puissant, où l’on sent qu’il y met beaucoup de lui-même, de sa sensibilité et de sa sincérité : c’est ce qui rend ce livre bouleversant, singulier et original.

Marei-Hélène Lafon : Joseph

livre joseph Marie-Hélène Lafon : Joseph - Ed Buchet.Chastel, 2014 - roman court.

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Le personnage principal de ce court roman a pour prénom Joseph, « un doux, un brave, comme on dit ». Il est ouvrier agricole dans une ferme du Cantal et c’est un homme silencieux qui vieillit en solitaire. Il est courageux, doux avec les gens comme avec les bêtes, ne se plaint jamais. Il s’applique à bien faire son travail, à ne pas déranger ses patrons qu’il respecte et s’habitue à être seul avec ses pensées qui l’amènent souvent dans son passé : la vie avec ses parents et son frère jumeau parti maintenant en ville tenir un café, son amour pour Sylvie il y a 30 ans et le passage de sa vie où il a « plongé dans la bibine » quand elle l’a quitté, le départ de sa mère chez son frère. Il réfléchit sur l’évolution de la vie à la campagne désertée par les jeunes attirés par la ville.

 Il a tout prévu : sa vieillesse dans une maison de retraite à Riom, la valise qu’il y emportera avec toutes ses affaires personnelles et l’argent pour ses obsèques dans une enveloppe.

 Le mot juste, le vocabulaire adapté et les phrases non ponctuées rendent la lecture fluide et sensuelle. Certains passages sont succulents : l’arrosage des géraniums, la démarche d’un homme ivre, la patronne faisant ses mots croisés…

La belle écriture de l’auteur, « aux accents flaubertiens » disent certains critiques, fait de ce roman un moment de lecture très agréable.

Astrid Wendlandt : L'Oural en plein coeur

Astrid Wendlandt : L'Oural en plein cœur - Albin Michel, 2014 - témoignage


livre l'oural en plein coeur ; des steppes a la taiga siberienne


L’auteur est une journaliste franco-canadienne amoureuse de la Russie dont elle parle la langue et passionnée par les peuples en voie de disparition et les civilisations oubliées comme, dans ce récit, les dernières tribus autochtones de l’Oural.

Les deux premiers chapitres nous plongent dans la vie ou plutôt la survie de l’auteur à Tcheliabinsk, en 1995, date à laquelle elle rencontre un chanteur de rock, Micha.

Quinze ans après en 2010, elle espère le retrouver dans la même ville devenue « dépotoir post-soviétique »,  mais il est « victime de maîtresse vodka » mais en Russie, dit-elle « on ne donne pas de leçon de morale ». Il est marié mais elle part quand même avec lui pour une tournée de concerts en copine. Elle a perdu son amour de jeunesse mais elle en rencontre un autre : « un homme élancé avec des faux airs de Pan et yeux bleu azur, cachés par une tignasse brune » : Dima. Celui-ci lui propose de la conduire vers Arkaïm où elle veut découvrir des tribus ancestrales. Au cours des chapitres, on devine l’amour qui grandit entre les deux personnages : magnifique évolution de leurs sentiments, très bien écrite, délicate, prude : « Dima est un amour qui a bondi sur moi » dit-elle.

Ils partent donc pour explorer la chaine montagneuse de l’Oural du Sud au Nord. Quelle aventure ! « Les journées dans l’Oural passent comme un éternuement » dit-elle. On veut bien le croire. C’est en voiture, puis en train, en bus, à pied, en petit avion, en aéroglisseur qu’ils font leur périple. Il est surprenant de voir comme l’un ou l’autre ont toujours une connaissance dans le coin.

Découvertes donc de villages aux isbas chatoyantes, d’une « chirurgienne en énergies », d’un guide croyant à la montagne mystique et aux vapeurs curatives du Yangan et surtout d’une communauté libertaire : ce sont des partisans d’Anastasia, une chamane de la taïga sibérienne qui préconise un retour à la terre. Leur projet est fondé sur la solidarité et non sur cette expression anglaise « me, myself and I » pour désigner les égotistes. Cette façon de vivre attire particulièrement Dima.

Puis arrive la déception en redécouvrant dans l’Oural Polaire menacé par le cupidité et la mondialisation.

Magnifique aventure que j’ai suivie avec grand enthousiasme, admirant notre aventurière et les conditions  de son périple que j’aurais apprécié de suivre sur une carte plus précise.

Yasmina Reza : Heureux les heureux

livre heureux les heureux  Yasmina Reza : Heureux les heureux - 2014, Gallimard Folio (format poche) - roman français


Yasmina Reza écrit dans ce roman psychologique « une comédie humaine cruellement juste ». L’auteur nous a déjà prouvé dans ses œuvres, théâtrales entre autres, jouées dans le monde entier, qu’elle savait observer la personnalité des hommes et des femmes qui l’entourent (Conversations après un enterrement- poche, 1987).

Ici elle nous dresse le portrait de dix-huit personnages d’âge et de milieu différents dont les vies se croisent et s’emboitent. Ainsi elle aborde les sujets qui lui sont chers : amour, amitié, vie de couple, vie de famille, mort et des sentiments très variés : tendresse, complicité, violence, haine, lassitude…

Chaque chapitre a pour titre un nouveau personnage, le couple Toscano étant le centre de ces histoires croisées. Le premier chapitre les décrit en train de faire leurs courses au Super-marché et leur dispute devient tragi-comique. Viennent ensuite les parents de Madame Toscano, les « vieux », un pianiste accompagnant sa mère pour une séance de radiothérapie (la conversation dans la salle d’attente est succulente), des amis des Toscano, un couple fusionnel, cachant la vie de leur fils qui a des délires graves, un journaliste persuadé que « être heureux, c’est une disposition », un chauffeur d’une actrice célèbre et cette actrice elle-même etc…

Chaque petit chapitre est bien ficelé, bien rythmé, drôle, cynique, assez réaliste. Ils se déroulent sans paragraphes, même pour les dialogues…et sont écrits à la première personne MAIS il est très difficile de repérer les liens entre eux et la situation finale est tirée par les cheveux…
En résumé, ce sont 18 petites nouvelles succulentes.