lundi 25 août 2014

Véronique Ovaldé :La grâce des brigands


livre la grace des brigands 

Véronique Ovaldé : La Grâce des brigands -Ed L'Olivier, poche "Points", 2013 - roman français.

Cette fois, Véronique Ovaldé nous emmène en Californie : « L’Amérique, c’est le pays de tous mes rêves enfantins » dit-elle.

L’héroïne de ce roman, Maria Cristina, a quitté en 1976 le Grand Nord canadien grâce à une bourse d’étude à l’âge de 20 ans. Elle est partie pour fuir une enfance malheureuse entre un père d’origine finlandaise, démissionnaire, illettré, une mère indifférente et illuminée, une sœur jalouse et handicapée (à cause d’un accident que notre héroïne aurait provoqué).
En arrivant à Santa Monica en Californie, Maria Cristina  vit en colocation avec Joanne, fille bohème, un peu hippie et très émancipée qui lui apprendra la vie. Elle s’est affranchie de sa famille par la lecture et maintenant par l’écriture car elle édite un roman autobiographique « La vilaine sœur » qui est un succès et fait d’elle une romancière reconnue. Elle devient la secrétaire d’un vieil écrivain, réfugié argentin, qui rêve d’avoir le Prix Nobel, devient sa maitresse jusqu’à ce qu’elle découvre que cet homme est un manipulateur qui profite de sa notoriété.  Elle rencontre aussi un protecteur discret, genre garde du corps affectueux……
Cet auteur a l’art de créer des personnages « stupéfiants de profondeur et d’humanité » (dans le journal Elle). Ces romans aux faux airs de contes sont peuplés de « doux-dingues » mais elle a surtout l’art de nous les décrire sur un ton si singulier et avec tant d’humour. A souligner ses annotations pittoresques et drôles entre parenthèses.
L’auteur aborde dans ce roman les thèmes qui lui sont chers : la dureté de l’enfance, la conquête de la liberté, la difficulté de la vie de couple, la question de l’écriture et de la création d’un roman.
Très agréable moment de lecture.

Céleste Albaret : Monsieur Proust

                                                            livre monsieur proust

Celeste Albaret : Monsieur Proust, souvenirs recueillis par Georges Belmont- Robert Laffont, 2001 et 1973 et en genre poche en mars 2014 - Biographie

 Céleste Albaret décide à 82 ans de rendre hommage à son idole en partie pour que la vérité soit dite parce que « trop de choses fausses ont été écrites par des gens qui ne l’ont connu que par ses livres » dit-elle.

 Céleste épouse, en 1913, Odilon Albaret, chauffeur de taxi auquel Marcel Proust fait souvent appel. Elle devient la gouvernante de l’écrivain, de cette année-là jusque sa mort en 1922. Cette femme a voué pendant 9 ans une véritable « vénération » envers Marcel Proust et évidemment les souvenirs, les dialogues ne sont surement pas objectifs.          Quand Céleste le rencontre, le mondain, le dandy exténué, vivant la nuit est devenu un « reclus » d’un caractère difficile, malade, ayant une haute opinion de lui-même. L’appartement du Boulevard Haussmann est un petit monde fermé. Marcel Proust vit dans sa chambre et écrit sur ses genoux dans son lit jusque l’épuisement.
La « chère Céleste » idolâtre son patron et se plie à toutes ses fantaisies et le défend « becs et ongles ». Elle le sert avec une attention et une gentillesse infinies. Elle excuse tous les travers et toutes les obsessions de son tyran : horaires décalés : « Quand il rentrait, on aurait dit toute la gaieté du jour qui se levait », lubies vestimentaires (ses tricots), manies alimentaires (le café !!), ses exigences (ses boules d’eau chaude donc ses bouillotes). Son dévouement est sans faille : jour et nuit. De gouvernante, elle devient la confidente, l’amie, le naturel et la fraicheur de cette jeune femme ayant séduit l’écrivain. S’instaure entre les deux personnages une intimité incroyable, faite de discussions, de commentaires sur les visites, sur les amis, sur les relations, sur l’avancement du travail de Monsieur Proust. Elle participe à la mise en forme de l’œuvre en prenant des notes et en mettant des bandes de papier collées pour rajouter les corrections. Marcel Proust lui conseille de lire, ce qu’elle fait avec obéissance. Il lui explique la politique en lui lisant les journaux, « pour votre éducation » lui dit-il. Plus tard, elle soigne ce grand malade avec patience et une bienveillance sans limites.
J’ai beaucoup aimé cette confession un peu naïve et candide mais qui décrit un tel dévouement. Cette « chère Céleste » est une femme d’une grande intelligente avec un cœur simple, qui nous livre un passage de sa vie avec beaucoup de sincérité. Elle nous montre plusieurs facettes de l’écrivain : excentrique et genre tyran, courageux jusqu’à l’épuisement, bon et affectueux avec sa chère Céleste. C’est un beau témoignage  émouvant qui vient du coeur.

 

  Céleste Albaret

 

Dominique Missika : L'Institutrice d'izieu


L'institutrice d'Izieu 

Dominique Missika : L'institutrice d'Izieu - 2014, Ed du seuil - Document

L’institutrice d’Izieu est un beau document sur la vie de cette maitresse d’école qui enseigna aux 44 enfants juifs emmenés par les soldats allemands le 6 Avril 1944, déportés et exterminés à Auschwitz.

Plusieurs parties inégales  en intérêt et en nombre de pages constituent ce témoignage, les parties du procès et de l’après procès étant pour moi les plus captivantes et émouvantes.

Gabrielle Perrier est une jeune institutrice, réservée, sérieuse, passionnée par son métier. Elle est intérimaire dans l’Education Nationale et l’Inspecteur Gonnet la nomme à la rentrée de 1943  institutrice de la colonie d’Izieu dans l’Ain. « Il s’agit d’enfants réfugiés » lui dit-il. La directrice de cette colonie est Madame Zlatin, résistante juive d’origine polonaise aidée de son mari, Miron, pour l’intendance si difficile en ces temps de guerre. Notre institutrice se lie d’amitié avec Léa, une des monitrices qui encadre le groupe d’enfants. La classe est unique et composée de 44 enfants d’origine et de nationalité différentes et Gabrielle doit les répartir en 5 niveaux. Tout est calme à Izieu ou plutôt dans son hameau de Lélinaz encore plus isolé et la colonie vit en autarcie. L’institutrice ne se rendra jamais compte que ces enfants sont juifs et sont en danger…Elle vit en recluse et seule, un peu coupée de la réalité, pourtant la guerre est proche et les combats s’intensifient dans la région. Ces 80 premières pages du document paraissent longues et beaucoup de répétitions alourdissent le texte. On se demande pourquoi Gabrielle n’a jamais soupçonné l’origine juive de ses élèves…

Le premier jour des vacances de Pâques, le 6 Avril 1944, Gabrielle, étant en congé et chez elle, apprend qu’une rafle a eu lieu à la colonie, des soldats allemands ayant emmenés les 44 enfants et leurs 7 moniteurs. Quel choc. Elle sera traumatisée à vie, tant elle était attachée à ses élèves d’autant qu’elle n’exprime à personne son désarroi, son chagrin. (pas de psychologues à l’époque).

« Les crimes de guerre méritent châtiment et la rafle d’Izieu en est un » : Gabrielle va suivre dans les journaux le travail de vérité que fait Madame Zlatin avec courage, dévouement et patriotisme. Jamais Gabrielle ne sera interrogée par quiconque à cette époque. Elle est présente lors des commémorations du 6 avril 1946 mais ne se manifeste pas, elle est trop réservée et sans doute trop traumatisée. Elle suit son petit bonhomme de chemin sans rien dire et est titularisée en avril 1946 et obtient son certificat d’aptitude pédagogique. Les années passent et en 1973, elle épouse Marius Tardy. Elle reste toujours la même, discrète, élégante. Le couple voyage en France puis à l’étranger. Elle prend sa retraite en décembre 1977.

Enfin, et c’est à ce moment que le document devient très intéressant, en Mars 1983, en voyant à la télévision l’arrivée en France de Klaus Barbie, ancien criminel nazi accusé de la rafle d’Izieu depuis 1971 par l’avocat Serge Klarsfeld, « Gabrielle se sent au pied du mur » et écrit une simple lettre à son ancienne directrice Sabine Zlatin. « Que se passe-t-il dans sa tête pour qu’elle prenne la décision de dévoiler ses sentiments » ??? Toujours est-il que le contact est établi et les deux femmes qui ont 15 ans d’écart resteront très liées pour toujours. A lieu alors le premier interrogatoire par deux gendarmes où elle raconte ce qu’elle a vécu avec les enfants et se rend compte que si elle avait été présente à la colonie au moment de la rafle, elle aurait subi le même sort qu’eux.

La quarantaine de pages sur le procès de Klaus Barbie pendant lequel elle doit faire sa déposition est très émouvante, particulièrement la rencontre avec Léa Feldblum, son amie, la seule encadrante de la colonie à être revenue vivante. Elle exprime son soulagement quand ce criminel est condamné à perpétuité.

La dernière partie de ce document relate la vie de Gabrielle qui est maintenant connue et reconnue comme étant une « institutrice exemplaire ». Elle doit rédiger son témoignage, rencontre des anciens voisins de la colonie, voit François Mitterrand en Avril 1994 à Izieu venu pour l’inauguration du Mémorial des enfants d’Izieu, va à Paris aux funérailles de Sabina Zlatin-Yanka, fondatrice de la maison des enfants d’Izieu et sa « patronne », accepte timidement des interviews à la télévision. Elle n’est pas présente pour le première fois en 2009 à la commémoration du 6 avril et meurt en novembre 2009.

Ce témoignage doit être connu et cet hommage à cette institutrice si simple est émouvant : il faut mettre en lumière les gens de l’ombre.

 

Ayana Mathis : Les douze tribus d'Hattie


livre les douze tribus d'hattie 

Ayana Mathis : Les douze tribus d'Hattie - 2014, Ed. Gallmeister -  roman américain.


Le fil conducteur de ce roman est la vie d’ Hattie : c’est une femme noire, elle a 16 ans en début de roman en 1923 et nous allons la suivre de cette date à 1980, c’est-à-dire suivre aussi, à travers elle, l’histoire de l’Amérique avec les grandes migrations qui changeront la face de ce pays.
Hattie est née dans un système fondé sur le racisme, dans cette société afro-américaine avec ségrégation, pauvreté et fondera une famille qui subira souffrance, folie et trahison. Cette jeune femme quitte la Georgie pour Philadelphie au Nord, se marie avec August très jeune et a cinq fils, six filles et une petite fille. Hattie est une femme en colère, révoltée. Elle parvient à éduquer sa famille, quasiment seule. Son mari, August, est un faible qu’elle semble détester mais ne sont-ils pas à deux les piliers de cette famille ? Ils se déchirent, se séparent pour des aventures chacun de leur côté mais revivent toujours ensemble. August saura, lui, donner de l’affection à ses enfants. Malgré sa rudesse et sa froideur apparente, Hattie transmet à chacun de ses enfants le meilleur d’elle-même, veut leur apprendre à lutter et sera toujours pour eux « un modèle ».

Ce personnage central est  fascinant. On comprend que sa douleur d’avoir perdu si jeune ses deux bébés jumeaux d’une pneumonie la bloque dans son pouvoir de donner de l’affection. C’est le choc de sa vie, c’est une douleur inguérissable. Ce premier chapitre à ce sujet est  bouleversant et très bien écrit.
Les destins de chaque enfant sont très variés et racontés à des époques différentes. Ils iront, pour les garçons, du trompettiste de jazz au prédicateur, à l’alcoolique-joueur et, pour les filles, de la femme d’un célèbre médecin noir à une internée en hôpital psychiatrique… L’intérêt des récits est inégal et certains chapitres ne m’ont pas passionné.

Chaque prénom d’enfants donne le titre des  chapitres et raconte sa vie : ce sont un peu comme des petites nouvelles indépendantes. On imagine quand même que l’auteur les a écrites séparément pour les relier ensuite et cela se sent dans la cohésion du roman.
Ce roman, qui m’a fait penser au superbe livre de Toni Morrison, est assez irrégulier : touchant et attachant dans certains chapitres, trop long et du déjà lu dans d’autres. L’écriture est sensible et belle mais l’ensemble manque de cohésion.