mardi 20 mai 2014

J.M.G. Le Clézio : Tempête

J.M.G. Le Clézio : Tempête - Deux novellas - 2014, Gallimard - roman français.

                                                     livre tempete ; deux novellas 

 



Ce livre contient deux « Novellas » : « Tempête », qui donne le titre au roman et « Une femme sans identité ». Novella est un terme utilisé par les Anglais, selon l’auteur, pour définir « une longue nouvelle qui unit les lieux, l’action et le ton » : cela nous donne deux textes, deux petits « bijoux » d’écriture concise, simple, poétique que « l’on déguste avec le tendresse respectueuse que l’on doit aux petites filles malheureuses » nous dit B. Frappat dans la Croix. En effet les deux héroïnes sont des jeunes filles d’aujourd’hui « malheureuses ».
Dans « Tempête », June est une gamine, « pré-ado » de 13 ans, métisse, fille de ces « femmes de la mer », pêcheuses à mains nues, vivant sur une île rocailleuse de la mer du Japon, l’île d’Udo. Solitaire et sauvage, cette fillette rencontre un ancien photographe américain, curieux personnage (il me fait penser à l’auteur…). Il est triste, peu bavard. Par les dialogues qu’ils ont tous les deux, on apprend qu’il est déjà venu sur l’île avec sa maîtresse qui s’est perdue à jamais dans la mer, son corps demeurant introuvable. De plus, il a un remords lancinant : il a été témoin, et de ce fait complice, visuel d’un viol collectif pendant la guerre du Vietnam et  a fait de la prison. Ces deux êtres si différents par leur âge et par leur vie, vont se lier d’une amitié touchante et fragile, se racontant leurs rêves, leurs histoires avec tendresse, toujours devant la mer, lieu unique de ce roman, la mer où l’on pêche, la mer que l’on regarde matin, midi et soir, la mer qui subit des tempêtes, la mer qui prend des vies, la mer qui tend les bras à June et qui fascine nos deux héros. Magnifique description de cette mer…
La seconde « novella » a pour héroïne la petite Rachel, fille née d’un viol, adoptée par un couple de riches colons installés au Ghana. Revenue en France, la famille éclate et Rachel n’aura de cesse de retrouver son pays, son « paradis perdu », son identité. En France, au Kremlin-Bicêtre, elle doit faire face à l’abandon de sa famille adoptive, à la dégringolade sociale, à l’errance….
Ces deux jeunes filles sont en quête de leur identité, sujet qu’aime cet auteur. Les deux histoires pourraient paraître banales (comme disent certains critiques) mais elles sont si bien écrites qu’on ne peut les lâcher, on les lit d’une traite, un vrai moment de plaisir et de détente.



Laurent Seksik : Le Cas Eduard Einstein

LE CAS EDUARD EINSTEIN  Laurent Seksik : Le Cas Eduard Einstein - Flammarion, 2013 - roman français.

Dans « Les derniers jours de Stephan Zweig » (paru en 2010), Laurent Seksik racontait la fin tragique de Stefan Zweig et de sa femme qui vécurent les six derniers mois de leur vie en exil au Brésil avant de se suicider. Il rentrait dans l’intimité de ce huis-clos tragique entre l’écrivain autrichien et son épouse durant le début de l’année 1942. J’avais beaucoup aimé ce roman mêlant le réel et la fiction sur la vie d’un de mes auteurs préférés. Laurent Seksik aime se passionner pour de grands personnages particulièrement torturés….
Ici il se penche sur la vie du fils du célèbre savant Albert Einstein, Eduard. Celui-ci est reconnu schizophrène à 20 ans (terme nouvellement inventé en 1930 par le directeur de l’asile en remplacement de démence précoce). Eduard est interné à Zurich où vit sa mère, admirable de dévouement et qui va se consacrer à son fils, en l’aimant jusqu’au bout de ses forces. Pendant ce temps, son père, le génie, prix Nobel, tombe amoureux de sa cousine Elsa et part avec elle à Berlin puis aux USA, abandonnant sa famille. Eduard ne lui pardonnera jamais. On peut supposer que cet abandon, l’absence de dialogues, la séparation de ses parents ne font qu’empirer son état psychologique. Il restera 33 ans dans cet asile. Il y deviendra jardinier…..
L’auteur a l’idée géniale de faire parler ou de reporter les pensées intérieures des trois héros, Eduard, sa mère et son père, trois personnages attachants et pathétiques. « Extraordinaire trio de soliloques qui se croisent et s’entrecroisent dans une incommunicabilité totale » nous dit Bruno Frappat dans la Croix. « Il se place au plus près de la vérité pour interpréter des faits, imaginer des dialogues, retranscrire les pensées les plus intimes » (dans Match). Comment fait-il pour nous écrire de si beaux chapitres sur les pensées d’Eduard, paroles d’incompréhension, de haine et de souffrance mais paroles lucides, intelligentes, naïves  (entre deux crises évidemment). On peut repenser à la tragique destinée de Camille Claudel…
Le long de ce livre, Albert Einstein parait indifférent au sort de son fils. Il n’en parle jamais sauf en fin de vie. Depuis les USA, il écrit à un ami « Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution ». A travers ce livre, nous découvrons la vie du génie, honoré sur tous les continents, mais qui est l’objet d’une haine tenace de la part des nazis dès 1933 puis de la part des adeptes de la « chasse aux sorcières ». Son ami Juliusberg, médecin de confiance de la famille et d’Eduard, est le seul à pouvoir lui écrire : « Tu es un ennemi public, l’ennemi du peuple allemand. Ton seul nom suscite une haine immense ». A cette époque, il ne reste rien «  de son passé en Allemagne, rien des heures de gloire, rien des rivages heureux ». Il quitte Berlin, il quitte l’Europe…. Ce qui est surprenant est qu’il ne parlera jamais à Freud des problèmes de son fils alors que pour Eduard, Freud était le modèle, l’idole. Pourtant Freud et Albert Einstein se connaissaient bien, ils correspondaient et leurs ouvrages sont partis en cendre au bûcher à la même époque en 1933….Quelle période de l’Histoire européenne et américaine marquée par les tourments provoqués par la haine !!!
J’ai beaucoup aimé ce roman magnifique et intime qui peint la tragédie de cette famille, entrelaçant les voix des trois personnages.


 

Khaled Hosseini : Ainsi résonne l'écho infini des montagnes

Khaled Hosseini : Ainsi résonne l'écho infini des montagnes - 2013, Belfond - roman étranger traduit de l'américain.

                                                       livre ainsi resonne l'echo infini des montagnes 

Cet auteur nous avait déjà enchantés avec le fameux roman devenu « livre-culte » : « Les Cerfs-volants de Kaboul » (paru en 2003 puis en 2006 en poche) (Grand prix des lectrices de ELLE en 2003).
Ici son nouveau roman émouvant, dont le titre provient du joli poème de William Blake, Chanson de la nourrice, nous confirme le talent de conteur de cet auteur américain d’origine afghane.
En fait, ce n’est pas une seule histoire mais neuf aventures qui s’entremêlent et comme le dit le Journal ELLE : « vous n’oublierez pas les histoires de Parwana, Roshi, Markos ou Adel… Elles rappellent pourquoi on a tant besoin de la profondeur de la littérature pour déchiffrer notre monde », car nous sommes plongés dans l’histoire de l’Afghanistan des années 1950 à nos jours, pays ravagé par la guerre et l’intolérance, l’auteur mêlant l’histoire de son pays et une émouvante épopée familiale.
Le premier chapitre se passe dans le village de Shadbagh, où Abdullah, jeune garçon de 10 ans et Pari, sa petite sœur de 3 ans, ont un lien indéfectible et si touchant. Va les séparer un  événement qui troublera leur vie à jamais. Le garçon a eu conscience de la séparation et pensera sa vie entière à sa petite sœur et la petite fille sentira un « manque », un « vide » qu’elle ne peut combler ni comprendre, comme s’il lui manquait quelque chose d’indispensable. Chaque chapitre nous parle de personnages ayant un rapport direct avec eux : la vie de l’oncle des enfants Nabi et de la relation entre un maitre et son serviteur, un chirurgien grec engagé dans l’humanitaire à Kaboul, des cousins qui ne se connaissent pas, Nila une maman en mal d’enfants….et chaque fois à travers la vie de ces personnages si dissemblables, l’auteur  nous fait comprendre l’évolution politique, sociale, culturelle de l’Afghanistan. Chaque événement a lieu dans des lieux différents : dans une cahute dans la campagne afghane, dans une belle maison coloniale de Kaboul, à Paris dans les années 1970, à San Francisco vers l’an 2000, dans une île grecque à notre époque avec des descriptions très intéressantes.
Le tout se termine par des retrouvailles très émouvantes mais trop tardives de nos deux enfants devenus si vieux : 58 ans plus tard….
J’ai beaucoup aimé ce livre très poignant, « d’une rare puissance émotionnelle » dit un critique. Il se dégage un sentiment rare de l’écriture sublime, fine et poétique de l’auteur.
Un petit reproche cependant sur le manque de chronologie des chapitres : il faut quelques lignes à chaque fois pour repérer l’année et l’endroit où se passent les événements.
 

David Foenkinos : La Tête de l'emploi

LA TETE DE L'EMPLOI David Foenkinos : La Tête de l'emploi - 2014, semi-poche chez Folio - court roman français.

A 50 ans, le héros de ce court roman veut mener une vie tranquille : il est marié, père d’une jeune fille qui quitte la maison pour un stage à l’étranger ; il travaille depuis 30 ans dans une banque. Mais d’un coup, tout bascule. Son incapacité à réagir est exaspérante. Il subit les événements sans pouvoir les surmonter : sa femme demande le divorce (il accepte et quitte le domicile conjugal), il est rétrogradé au guichet de la banque (il n’ose pas réagir), puis évidemment il est viré de son boulot. Seule solution : il retourne vivre chez ses parents, vieillis, sinistres, lugubres… Je ne raconte pas la suite ni la fin qui n’est pas ce qu’on le peut imaginer …
On s’attache à ce Bernard au caractère mélancolique et sensible en ayant envie de le bousculer mais son humour et sa façon d’appréhender les mésaventures quotidiennes nous font presque rire, grâce à la belle écriture et au talent de cet auteur.
Petit bémol : il va falloir que l’auteur se renouvelle car, ayant lu le livre  « Bernard » (paru en mai 2012) de cet auteur, on peut constater que ce « Tête de l’emploi » lui ressemble quand même très fortement…..
Ce livre a la particularité d’être paru en première édition en semi-poche chez Folio.