vendredi 18 avril 2014

Lola Lafon : La petite communiste qui ne souriat jamais

LA PETITE COMMUNISTE QUI NE SOURIAIT JAMAIS

Lola Lafon : La petite communiste qui ne souriait jamais- Actes Sud, 2014- roman français

COUP de COEUR



Lola Lafon retrace la vie de Nadia Comaneci dans ce beau livre « mi-roman, mi-rêverie ». Cette petite fille  de 14 ans venant d’Onesti en Roumanie, fait dérailler le 18 juillet 1976 les tableaux d’affichage des Jeux Olympiques de Montréal en obtenant 7 fois la note 10 en gymnastique (poutre, barres asymétriques, exercices au sol, cheval d’arçon). Cette jeune gymnaste devient du jour au lendemain « une icône pour le sport et une idole des foules ». Elle restera à jamais la plus jeune gymnaste médaillée d’or olympique puisque il est désormais obligatoire d’avoir 16 ans pour participer aux JO.
On ne peut s’empêcher d’aller regarder sur Internet les vidéos de 1976 : la magie est intacte. Sa silhouette menue « tout en muscle et en volonté » est très émouvante et son salut final encore plus. Son entraîneur, Béla, avait tout de suite repéré cette athlète sérieuse, parfaite, imperturbable, impeccable, précise, impressionnante. En effet,  Nadia excelle par sa technique, elle n’a peur de rien et a une force intérieure infinie. Elle veut tout donner d’elle-même pour la grandeur de son pays. Cette petite adolescente manipulée par le pouvoir sans le réaliser, obéissante à son entraîneur un peu excessif ne regrette pourtant rien de sa vie d’athlète, des privations, des entraînements continus, des douleurs, des risques. Elle aimait cela et voulait gagner. 
L’auteur, qui a vécu en Roumanie, nous décrit le quotidien si dur dans un pays communiste mais ce régime a permis à Nadia de faire toutes ces années de gymnastique. Elle fait bien dire à l’athlète qu’elle n’aurait pu faire tout cela sans l’aide de l’Etat et la gamine de 14 ans en est consciente quand elle va aux USA et voit que les parents des athlètes américaines paient  les entraînements de leurs enfants, les écoles de gymnastiques étant privées et chères. On ne sait si cet enfant, arraché à sa famille pour parcourir le monde et faire la promotion du régime, a souffert des séparations ? L’auteur met « en regard la dictature communiste d’hier et l’asphyxie capitaliste d’aujourd’hui ».
Après cette gloire, l’enfant devient femme : « La petite fille s’est muée en femme, verdict : la magie est tombée ». Pourtant en 1980, elle est médaillée de bronze aux JO de Moscou derrière deux Russes. Mais les journaux la délaissent, le phénomène n’existe plus. L’année suivante, elle met un terme à sa carrière. Commence alors une période trouble et son refus de « sortir » avec le fils cadet de Ceaucescu lui vaut d’être surveiller en permanence par la Securitate. Sa vie devient un enfer et elle réussit à fuir en 1989, 15 jours avant la chute du Camarade Suprême…On peut la voir sur Internet étant une belle  femme  mariée avec un athlète américain.
Ce récit assemble des parties de la vie de la jeune gymnaste racontées par dialogues imaginaires, des messages écrits et téléphoniques entre la romancière et la sportive, ce qui rend la lecture très agréable. L’auteur affirme avoir fait beaucoup de recherches, de rencontres et garantit l’exactitude des dates et des événements mais le reste du récit est une fiction.
Très belle biographie fictive, sensible et fine, de cette jeune athlète et sa quête de perfection puis de la femme qu’elle est devenue.

Edouard Louis : En finir avec Eddy Bellegueule

EN FINIR AVEC EDDY BELLEGUEULE 

Edouard Louis : En finir avec Eddy Bellegueule - 2014, Seuil - roman.

C’est LE roman, façon coup de poing de la rentrée de Janvier 2014 qui raconte une rupture avec le milieu d’origine, une renaissance : l’histoire d’un jeune Eddy qui a grandi dans un village de Picardie qui veut « en finir » avec le rejet, le racisme, l’incompréhension, la bêtise qui l’entourent. L’auteur veut que ce récit soit considéré comme un roman et non comme un témoignage ou une biographie : « Il le fait de façon sensible irréfutable », note la romancière Annie Ernaux qui juge le livre « d’une force et d’une vérité bouleversante ». D’ailleurs en lisant ce roman, on pense beaucoup à cette auteure, parce que, comme chez elle, ce livre n’est pas un règlement de compte mais « une tentative de compréhension ». (ci-après fiche sur Annie Ernaux)
L’auteur choisit deux langages dans ce récit : une langue choisie, mesuré, d’un style contemporain et, à l’inverse, « en italique » la langue des siens, de tous ceux qu’il côtoie : parents, frères et sœurs, grand-mère, voisins, langage violent des laissés-pour-compte de la France profonde subissant la crise.
A la maison, la vie est rude. Les parents picolent, parlent fort, regardent la télé 24 heures sur 24 : (« mais alors tu fous quoi de tes journées si t’as pas la télé ??? »), racontent leurs problèmes avec verdeur. La mère étant enceinte dit : « J’ai perdu un bébé : il est tombé dans les chiottes ». Toujours la mère : « Moi j’aime bien me marrer. Je joue pas à la Madame, je suis simple ». Et pour montrer la misère : « Ce soir, on mange du lait ». Le père : «Oh maintenant j’ai plus pastis dans les veines que de sang ». Mais ses parents qui élèvent leurs enfants n’importe comment, les aiment à leur manière. Le père leur dit et prend plusieurs fois la défense de son fils, sa mère l’excuse parfois…
 Collégien de dix ans, il se fait tabasser tous les jours par deux ados dans le couloir de l’établissement (le grand roux et le petit au dos voûté). Les deux scènes de crachats sont inouïes de violence. Eddy commence à se rendre compte de sa différence, de sa féminité : sa voix prend des intonations féminines, ses mains s’agitent dans tous les sens et surtout sa famille le traite de « gonzesse », de « sale pédé ». Il est alors pris entre deux volontés, celle de devenir comme tous les autres et celle qui le pousse vers les Hommes. Il se répète comme leitmotiv : « Aujourd’hui je serai un dur » : il se force à jouer au foot, à boire, à draguer, à insulter les homosexuels.
Quand il aura compris qu’il ne peut changer, il a l’opportunité de fuir en allant au lycée. L’auteur dit : « La fuite est un acte révolutionnaire et non une lâcheté. La fuite était la seule possibilité qui s’offrait à moi, la seule à laquelle j’étais réduit, la dernière solution envisageable », solution courageuse.
L’auteur nous fait pénétrer dans un milieu déshérité, rural et pauvre peu décrit dans les romans, que l’on a du mal à imaginer être de nos jours. Il a le droit de nous décrire cette classe sociale car il en a fait partie. Ce n’est pas le récit d’un révolté car il ne porte pas de jugement. Eddy est devenu Edouard et Bellegueule a laissé place à Louis : « Le deuxième prénom de la personne que j’aime le plus au monde » dit-il maintenant qu’il est élève de Normale Sup et écrivain.
On ne peut rester insensible à ce « roman », roman « d’apprentissage lumineux malgré les ténèbres, plein d’amour à donner malgré la cruauté » (Télérama)