mardi 18 mars 2014

Pierre Assouline : Sigmaringen

livre sigmaringen

Pierre Assouline : Sigmaringen - Gallimard, 2014 - roman français

Pierre Assouline est un journaliste et un écrivain passionné d’histoire et chacun de ses romans est extrêmement bien documenté et au plus proche des événements.
Dans « Lutetia », paru en 2006 chez Gallimard, le narrateur était le gardien chargé de la protection discrète des clients du prestigieux Hôtel Lutetia et il était le témoin des histoires et de l’Histoire qui se sont passées dans cet hôtel mythique de la rive gauche de Paris de 1938 à 1945.
Ici le héros, et donc narrateur, n’est autre que le majordome du Château des Princes de Hohenzollern à Sigmaringen, ville du pays de Bade dans le sud de L’Allemagne. Sur ordre d’Hitler, le château est réquisitionné, rattaché à la France et devient « le décor d’une sinistre comédie ». Le gouvernement de Vichy débarque dans l’imposante forteresse de 383 pièces et le prince de Hohenzollern ordonne à son majordome de rester comme « gardien  du temple et gardien de la continuité, oeil et oreille de confiance ».
Ce majordome mélomane et impassible observe et écoute : il se désole de voir flotter le drapeau français sur la demeure de ses maitres et assiste à l’installation des membres du gouvernement en exil, réfugiés plus que prisonniers. Il nous fait vivre avec beaucoup d’humour et d’ironie la vie quotidienne de Pétain, Laval, Doriot, Darnand et d’autres… : « Allées et venues, repas collectifs plein d’emphases à l’heure du rationnement, chassés-croisés et délires personnels du pouvoir »
Notre majordome rencontre aussi Louis-Ferdinand Céline (Destouches) avec son chat Bébert venu exercé la médecine à Sigmaringen au château mais aussi au village où un grand nombre de français sont réfugiés, pendant que sa femme Lucette Destouches fait des répétitions de danse dans la grande salle du château !!!! Céline a d’ailleurs écrit en 1952 « D’un château à l’autre » qui a surement inspiré Pierre Assouline.
Notre majordome dirige sa troupe de serviteurs et rencontre le beau personnage de mademoiselle Wolfermann, intendante du maréchal (je n’en dis pas plus…). Les discussions dans les cuisines entre les serviteurs sont savoureuses et pleines d’humour.
Un critique de La Croix dit : «  Un roman qui restitue toute la folie tragicomique de ces quelques mois d’ « occupation » française du château allemand où Pétain remplaça le prince » !!! :
 Bon moment de lecture sur cette période de l’histoire assez méconnue racontée avec beaucoup d’humour

Maylis de Kerangal : Réparer les vivants

livre reparer les vivants   Maylis de Kerangal : Réparer les vivants -Gallimard, 2014 - roman français.

Beaucoup d’éloges dans la presse pour ce roman de Maylis de Kerangal « Réparer les vivants ». Evidemment cette écriture particulière « dense, concentrée, serrée » frappe de plein fouet par sa rapidité, par sa poésie, par son humanité, par ses longues phrases haletantes qui semblent ne pas s’arrêter, par son agilité et par sa fluidité. Mais comment l’auteur peut-il nous décrire la douleur des parents qui perdent un enfant sans l’avoir vécu ? Je m’étais déjà posée la question en lisant « Tu verras » de Nicolas Fargues (2011) alors que des récits d’auteurs ayant vécu ce drame sonnent plus juste et plus profond….
Toujours est-il que c’est un roman et que nous vivons dans ce livre au rythme accéléré d’une transplantation cardiaque : 24 heures se passent entre la mort du jeune Simon et la pose du greffon dans le corps de Claire.
Beaucoup de personnages entrent en jeu avec chacun sa propre histoire, son passé et l’instant présent.
Le premier chapitre est consacré à Simon : jeune surfer, il part avec des copains à l’aube dans une camionnette « véhicule grimé en van californien » pour s’éclater sur LA vague : « Il prend la première ride en poussant un cri…c’est le vertige horizontal. Il est au ras du monde. » Simon vit intensément ce moment. Ces quelques pages décrivent à merveille la mer, la plage, l’ambiance du petit matin, le surf.
En rentrant, a lieu l’accident. La violence du choc est pour Simon qui n’a pas de ceinture de sécurité et il est déclaré mort cliniquement mais avec un cœur vigoureux qui continue de battre.
Commence alors une autre histoire et nous rencontrons successivement tous ceux qui sont concernés par la mort de Simon.
Pierre Revol, médecin dans le département de Réanimation médico-chirurgicale depuis 30 ans au Havre : « de haute taille, efflanqué, thorax creux et ventre rond…quelque chose de délié et d’incertain raccordé à une allure juvénile ». Il nous explique que depuis 1959 « l’arrêt du cœur n’est plus le signe de la mort, c’est désormais l’abolition des fonctions cérébrales qui l’atteste », ce qui veut dire que le cœur de Simon bat encore mais son cerveau ne répond plus. C’est un passage très important du livre car c’est ce qui permet de faire des transplantations cardiaques.
Rentrent en scène les parents. Marianne est tétanisée : « c’est long le chemin jusqu’à Simon. C’est pénible ces hôpitaux comme des labyrinthes ». L’annonce lui est faite en plusieurs étapes : « votre fils est dans un état grave » « Il s’agit d’un coma profond » « les lésions de Simon sont irréversibles »…Elle retrouve son ex-mari, Sean, dans un café : « déroutés, blafards, ils réalisent lentement la situation, « ce cauchemar d’une magnitude inconnue ».
De retour à l’hôpital, il rencontre Thomas Remige : c’est le coordinateur des prélèvements d’organes. Pour lui, un patient en réanimation peut devenir un donneur. C’est un personnage étrange, infirmier hors du commun dans ce choix de spécialité. C’est lui qui parle de ce prélèvement aux parents : « trop dur, trop complexe, trop violent », ils refusent puis, sans explication…, acceptent un don d’organes.
S’ensuit une course contre la montre. La tension monte : j’ai moins aimé cette partie plus technique qui fait entrer en jeu encore un autre personnage original : Virgilio Breva, étudiant d’exception, interne hors-norme, concentré, méthodique, qui sera chargé d’opérer Simon, de prélever le cœur et de le ramener à la Pitié Salpétrière.
D’autres personnages sont décrits avec détails : l’infirmière, nouvelle dans ce service ; Juliette, la petite copine de Simon ; la coordinatrice qui s’occupe du protocole de répartition des greffons, puis Claire, celle qui va recevoir le cœur de Simon.
 Pour avoir vécu cette situation dans ma famille, je peux vous dire que le receveur est beaucoup plus préparé psychologiquement à aborder le Jour « J » tant attendu et n’est pas laissé seul dans son coin sans aide morale….
Evidemment la question primordiale de ce livre est la douloureuse question de don d’organes : le corps a t-il une valeur ? Pourquoi le cœur, les reins, les poumons et pas les yeux ? Chaque religion aborde cette question différemment mais ce livre aura au moins le mérite de nous faire réfléchir à cette question.
La belle écriture originale de l’auteur fait apprécier cette lecture : « une vibration intense agite tout le livre, une pulsation cardiaque rythme le texte entier ». Mais je ne me suis pas laisser séduire…

Christian Signol : Tout l'amour de nos pères



TOUT L'AMOUR DE NOS PERES Christian Signol : Tout l'amour de nos pères - Albin Michel, 2013 - roman français

Tous les fans de Christian Signol vont, dans ce livre, trouver tout ce qu’ils aiment de cet auteur « du terroir » « du cru » (il a horreur qu’on l’appelle ainsi !!!).
Il nous livre ici une saga qui se passe en Dordogne de la fin du XVIIIème siècle  jusqu’au XXème siècle : il part d’un peu loin cette fois, diront certains critiques…
Pierre est le fondateur de la dynastie, un grognard de Bonaparte qui, avec le pécule rapporté de la guerre, achète une maison et des terres. Il devient médecin et ses descendants ou leurs conjoints seront tous médecins.
 Chacun des héritiers tient un journal en racontant son histoire, en témoignant de son combat pour préserver le domaine et venir en aide aux familles des alentours. Ils devront lutter contre les événements, les guerres et la malédiction de perdre à chaque génération le fils aîné…. « Ils relatent les joies, les contraintes et les peines des générations qui se sont succédé dans le domaine familial »
Avec cette belle évocation de la France des campagnes, Signol confesse qu’il s’arrêtera bientôt : « Le moment vient où l’on a écrit tout ce que l’on avait à écrire » dit-il.
Beau roman du terroir et belle fresque historique et chronologique de la vie en France.

 

Françoise Héritier : Le Goût des mots

Françoise Héritier : Le Goût des mots - Odile Jacob, 2013 - Essai.

Dans son précédent opuscule « Le sel de la vie », Françoise Héritier nous faisait une longue liste de ces moments qui font le sel de notre existence.
Dans «  Le goût des mots », elle nous invite à jouer avec les sens en percevant les mots : il faut les toucher, les entendre, les sentir, les goûter, les voir, les décortiquer et leur donner une interprétation, jouer avec les voyelles, les consonnes, les syllabes. Laissons- nous aller et exprimons les sensations que les mots ou les expressions font naître en nous :
Quelques mots : brandebourg, dactyloptère, épithalame, janissaire, pagnoterie, urquain, yeuse, zinzolin ?????
Quelques expressions : Mon sang n’a fait qu’un tour, rire à gorge déployée, tailler une bavette, se démener comme un beau diable, en mettre plein la vue, avoir une tête de papier mâché…
26 pages d’expressions nous font sourire, esclaffer, rire, réfléchir, nous sidèrent, nous étonnent, nous renvoient à des couleurs, des odeurs, des sensations, des saveurs, des émotions.
Un petit régal de lecture que ce petit opuscule qui nous oblige à faire marcher notre imagination.
Françoise Héritier est une anthropologue réputé, professeur au Collège de France. Elle a particulièrement étudié la Femme au cours des siècles et a écrit avec des collègues « La plus belle histoire des femmes » (au Seuil, 2011)
LE GOUT DES MOTS