samedi 21 décembre 2013

Christophe Ono-dit-Biot : Plonger

Christophe Ono-dit-Biot : Plonger - Gallimard, 2013- roman. Coup de COEUR

 
Christophe Ono-dit-Biot a reçu le Grand Prix du Roman de l’Académie Française 2013 avec ce roman et on le comprend en lisant ce livre magnifique qui est, dit-il, « un roman de la transmission et de l’émerveillement face à la beauté ».
L’auteur nous a déjà fait rencontrer le héros de ce roman, César, jeune journaliste dans « Birmane » (Prix Interallié 2007). César partait alors en Birmanie pour rapporter de ce pays « une histoire qui changera sa vie » en quête d’amour et d’absolu. L’auteur en avait fait un livre magnifique… Dans le roman « Plonger », César est devenu père. Il écrit à son fils, Hector, l’histoire de son couple. Nous plongeons avec lui au sens figuré et au sens propre (voir à la fin du roman).
César est follement amoureux de Paz, superbe jeune femme, formidable artiste-photographe, tourmentée et en quête d’absolu. Nous allons les suivre dans la folle vie des artistes parisiens en art contemporain de notre époque : vie dans les musées, dans les expositions, dans les vernissages, dans les mondanités qui ne plaisent pas à Paz… Beaucoup de références culturelles et artistiques actuelles jalonnent les pages qui sont passionnantes. Un superbe voyage à Venise nous transporte dans cette cité magnifiquement décrite. Quel bel éloge à la beauté.
Dans deux chapitres passionnants, César nous explique les raisons pour lesquelles il ne veut plus quitter l’Europe : trop de risques maintenant qu’il est père. Il fut envoyé comme reporter pour le Tsunami en 2004 en Asie, « un véritable assaut aquatique lancé contre le tourisme de masse occidental ». Trop dur… Puis il dut retourner à Beyrouth au Liban en guerre depuis 15 ans mais dont il aimait « la vie nocturne » et il fut arrêté par des hommes qui se disaient membre du Hezbollah, le mouvement de résistance islamique et qui filmait son arrestation puis le relâchèrent : incompréhension totale et trouille bleue : Trop éprouvant….Plus d’Asie, plus d’Orient : « mon périmètre se rétrécissait » dit-il.
Paz, elle, rêve de partir loin pour fuir le monde superficiel : « l’amour est difficile. Aussi intense soit-il, c’est une guerre permanente, des moments où l’on est en total décalage avec l’autre » dit l’auteur dans une interview…Le couple se sépare. Paz part donc : elle a choisi une autre vie aux dépens de César et de son enfant, Hector, et cherche ailleurs un idéal de « pureté ». On annonce à César la disparition de sa femme et il part enquêter dans un  pays lointain malgré ses résolutions de ne plus quitter l’Europe…..Pages magnifiques sur cette île quasi déserte…et découverte du drame.
On ne ressort pas indemne après avoir plongé avec notre héros César. J’ai beaucoup aimé l’atmosphère de ce livre fort, très moderne, soulevant beaucoup de questions sur la vie actuelle, sur notre monde contemporain avec une belle écriture précise et colorée.
 

Yasmina Khadra : Les anges meurent de nos blessures

Yasmina Khadra : Les anges meurent de nos blessures - Julliard, 2013 - roman


Nous sommes en Algérie coloniale des années 1920. Le jeune Turambo, petit garçon trop sensible, y vit dans une misère noire et tente de récolter trois sous pour sa famille. Belle description de la vie à Oran après la guerre pendant le premier tiers du livre, un peu trop lyrique et d’un style trop classique.

 La ville et le roman deviennent tous deux « une aventure haletante, un carrefour où se rattrapaient les âges, chacun paré de ses atouts » nous dit un critique.

Quelques années plus tard, ce garçon, de fort basse condition, devient boxeur, son bras gauche étant son arme. Nous sommes alors embarqués dans sa vie d’athlète : les poings, les coups, les victoires de ce sportif qui va devenir champion de boxe d’Afrique du Nord. Mais malgré la dureté de sa vie, ce cœur pur sera amoureux de trois femmes inaccessibles pour lui ce qui permet à l’auteur de nous faire trois beaux portraits de femmes et de nous décrire le sort des femmes en Algérie à cette époque, mais qui font terminer le livre en tragédie….

J’ai beaucoup plus aimé la dernière partie de ce livre : plus vive, d’une écriture plus structurée. Le balancement entre la dureté de la vie d’un boxeur et la pureté de ses sentiments  est très bien étudié.

Belle histoire et destin hors-norme pour ce jeune algérien mais première partie trop banale… La critique a plutôt moyennement accueilli ce roman….

On se souvient du même auteur de « L’Attentat » (roman palpitant) et « Ce que le jour doit à la nuit » (2008) adapté au cinéma en 2012.

 

Agnès Ledig : Juste avant le bonheur

Agnès Ledig : Juste avant le bonheur - 2013, Albin Michel - roman

Prix 2013 : maison de la Presse


Le début du roman est un peu comme un conte de fée. Des personnages de milieux sociaux opposés et de personnalités très différentes s’entraident. Ce sont des êtres touchants, cabossés par la vie, fragiles. Leur rencontre est décrite avec beaucoup d’humour et de gaieté. Mais, au milieu du roman, un terrible drame « assomme » chacun d’eux. Chacun réagit avec courage. Le Figaro nous dit : « Il faut avoir apprivoisé la douleur pour évoquer avec autant de sensibilité, de sincérité et de maturité cette force mystérieuse qui permet à chacun d’admettre l’inexorable et d’avancer ». En effet l’auteur a eu un fils atteint de leucémie.

Beaucoup d’émotions, de tendresse et d’affection émanent des pages suivant le drame. Le temps qui passe montre qu’il faut garder espoir et que le bonheur est toujours possible puisque des couples vont se former et vont réussir à se reconstruire.

Bon roman qui ne tombe pas dans le mélo grâce à l’humour et au style : phrases courtes, dialogues très vifs et grâce à sa leçon d’optimisme et de courage.

Agnès Ledig a reçu le Prix Maison de la Presse 2013 pour ce deuxième roman. Elle a répondu aux critiques qui voyaient son roman trop naïf par une citation de Georges Bernard Shaw : « Certains regardent la réalité et disent : -Pourquoi ?- Moi je rêve de l’impossible et je dis : - Pourquoi pas ?- »

 

Jean-Philippe Blondel : 06h41

Jean-Philippe Blondel : 06h41 - Buchet-Chastel, 2013 - roman

 

 

 

 



Un lundi, à 6h41, deux personnes, amants durant leur jeunesse, se retrouvent par hasard côte à côte dans le train.
En alternance, chaque chapitre va nous faire revivre la vie des deux héros.
Ils se sont quittés à Londres, 27 ans auparavant : Elle, le cœur brisé, bien décidée de ne jamais revoir ce copain. Lui, plutôt désinvolte à cette époque. Elle plutôt discrète et « mal fagotée » est devenue une femme d’affaires brillante : c’est un peu sa vengeance. Lui, le plus beau gars du lycée, est devenu moche, ventripotent et mal à l’aise…Drôle donc, cette situation de renversement…
Faisant semblant de ne pas se reconnaître, ils s’observent sans se parler, sauf à l’arrivée en gare…
Leurs monologues intérieurs, écrits à la première personne, sont extrêmement bien développés, chacun revivant son histoire depuis leur rupture, constatant son évolution et réfléchissant sur les amours perdus, les ambitions de jeunesse, les résolutions prises alors.
Quelques paragraphes sur le vieillissement des parents, sur la folle jeunesse, sur les renversements de situation, sur les changements de personnalité au cours d’une vie sont vraiment superbes, bien vus.
Le style est simple, vif, souvent ironique et humoristique.
Très bon livre court pour un bon moment de détente.




Julie Otsuka : Certaines n'avaient jamais vu la mer

Julie Otsuka : Certaines n'avaient jamais vu la mer - 2013, Poche  ou 2012, Phébus - roman : Prix Fémina 2012
C’est l’histoire méconnu de ces jeunes japonaises qui, dans les années 20, quittent leur pays pour rejoindre en Amérique leurs "compatriotes", futurs maris émigrés en Californie qu’elles n’ont vu que sur des photos. Elles sont naïves et pleines d’espoir. « Certaines n’avaient jamais vu la mer » mais après une traversée de l’Atlantique éprouvante, elles découvrent en arrivant une vie plein de désillusions : mariage sordide, travail harassant, essai d’intégration mais racisme des Blancs et humiliations fréquentes, déportation en 1942. Ce récit nous raconte « le brutal déracinement de ces geishas qui trimeront dans les champs ou qui serviront de boniches à la bourgeoisie » avant d’être mis dans des camps d’internement dans cette Amérique terriblement raciste (très belle page sur cet exode)
La réussite de ce roman tient beaucoup dans l’écriture  magnifique, poétique, lyrique. L’auteur a choisi d’écrire à la première personne du pluriel : l’héroïne est donc multiple et ce « nous » est très émouvant et scande le destin misérable de chacune des voix anonymes : « l’émotion tient le lecteur tout au long du livre » dit un critique du Monde.
Il est intéressant de savoir que le déplacement puis l’internement de quelques 120 000 japonais, en 1942, après l’attaque aéronavale japonaise, reste un sujet tabou aux Etats-Unis. En 1988, au nom du gouvernement américain, le président Reagan présentera ses excuses à la communauté américano-japonaise « pour le traitement injuste et dégradant qu’elle subit alors ».
Ce roman superbe est un document poignant, bouleversant auquel on repense souvent.

mercredi 27 novembre 2013

Pierre Lemaitre : Au revoir là-haut.


Pierre Lemaitre : Au revoir là-haut - 2013, Albin Michel - Roman

Prix Goncourt 2013 - COUP de COEUR


En 1918, l’armistice étant proche, a lieu, dans les tranchées un ultime assaut commandé par un lieutenant arriviste et ignoble, Henri d’Aulnay-Pradelle. Deux jeunes soldats en réchappent in-extremis : Albert légèrement blessé et Edouard défiguré. Ce seront les trois personnages principaux du roman. Cette scène d’assaut ne prend qu’une cinquantaine des premières pages du livre : scène époustouflante qui scelle le destin des 3 héros qui n’auraient jamais dû se rencontrer : Edouard, le flamboyant, est le fils d’une famille riche et puissante. Albert, le timide, est un modeste employé de banque. Edouard sauve Albert, avant qu’un obus ne le défigure. Leurs vies vont être liées : Albert a une dette éternelle envers Edouard. Ils survivront ensemble dans la misère…

En effet ils sont dans la précarité et dans une situation plus que douloureuse : l’auteur aborde le thème de l’homme qui est revenu de la guerre et ne trouve pas sa place dans la société dans laquelle il rentre. A cette époque, nous dit l’auteur, « on glorifiait les morts mais on ne savait que faire des survivants ». Quelle ingratitude.

Nos deux copains vont inventer une escroquerie qui pourrait les sortir de leur misère et vont en suivre des situations aussi bluffantes qu’enthousiasmantes, impossibles à résumer….mais réalistes, selon l’auteur. Je n’en dis pas plus…

Le roman est écrit comme un polar (Pierre Lemaitre sait le faire) avec des épisodes de retournements de situations, des mystères qui s’enchainent et une intrigue parfaitement maitrisée. Les descriptions de la France de l’Après-guerre sont très réussies, aussi bien au niveau social et culturel que politique et financier. L’auteur a dit s’être énormément documenté sur cette période.

Un moment de lecture intense avec un « ton inattendu, ironique, sarcastique, cruel et tendre à la fois », nous dit Bruno Frappat dans le journal La Croix.

Un grand « page-turner » tragique et rocambolesque, « tous publics » (étonnant pour un prix Goncourt…)

 

 

 

Véronique Olmi : La nuit en vérité

 

Véronique Olmi : La nuit en vérité - 2013, Albin Michel - Roman

L’auteur nous met en scène Enzo, adolescent obèse et souffre- douleur de son collège et Liouba, sa jeune mère, femme de ménage qui élève seule son enfant. Le lien entre les deux personnages est fusionnel malgré des secrets familiaux pesants : le mystère de l’identité du père de l’enfant, l’histoire de la famille de Liouba : ils nous seront révélés par petites touches.
L’histoire de la vie quotidienne de ses deux personnages dans un grand appartement bourgeois parisien dans lequel ils ont un logement de fonction parait simple en début de roman. Ils se construisent une vie correcte avec quelques objectifs comme celui d’aller voir la mer. Ils tentent de s’intégrer. Enzo, intelligent et cultivé, se réfugie dans la lecture et s’invente des histoires. Mais la tension monte jusqu’à ce que « l’horreur face irruption dans la vie du garçon », prouvant la capacité des enfants à faire du mal et des adultes à ne rien comprendre. Après ce drame, Enzo, dans son délire entrevoit ses origines russes et devine ses racines, d’où le titre : La nuit en vérité…
Dans un très beau style subtil, plein de finesse et d’émotions, l’auteur fait une belle étude approfondie sur la vie et les sentiments de ses deux héros, « leur délicatesse, leur indignation, leur solitude ».
Beau roman psychologique qui soulève beaucoup de thèmes actuels.

Jacques Ferrandez : L'Etranger

Jacques Ferrandez :  L'Etranger d'après l'œuvre d'Albert Camus - 2013, Gallimard, Fétiche - BD


 

Voici une BD très bien faite pour nous souvenir d’Albert Camus dont on fête le centenaire de la naissance. Cette BD résume « L’étranger », écrit en 1942 par Camus avec de très beaux dessins qui rendent vraiment le sentiment que j’avais eu en lisant ce roman il y a quelques années…..

On découvre de très belles planches sur Alger, sur les plages, les cafés, l’atmosphère, la population. On ressent avec le héros, Meursault, la chaleur écrasante de l’Algérie : sur la route accablée de soleil lorsqu’il va voir sa mère mourante à l’asile ; sur cette plage oppressante quand il rencontre la superbe et rayonnante Marie puis lorsqu’a lieu la bagarre fatale avec des « arabes ». Dans la deuxième partie, j’ai admiré les traits du visage de notre héros : les portraits de Meursault expriment en un clin d’œil tous les sentiments du personnage devant son avocat, le juge ou l’aumônier et dans sa prison. Magnifique.

C’est par ce roman que Camus fut reconnu comme grand écrivain, particulièrement grâce à André Malraux qui fut déterminant dans la publication  de l’Etranger et on se rappelle qu’Albert Camus fut prix Nobel de littérature en 1957.

A noter que, si l’on veut relire un roman de Camus, il est passionnant de lire « Le premier Homme », de plus en plus reconnu, dans son inachèvement même (il est paru après la mort de l’auteur), comme un « chef d’œuvre ».

David Foenkinos : Je vais mieux


David Foenkinos : Je vais mieux - 2013,Gallimard - roman


J’attends toujours avec impatience les romans de cet auteur si agréable à lire avec son humour extraordinaire. On se souvient de « La délicatesse », « Les souvenirs ».

Le héros de ce roman est victime d’un mal de dos qui bouleverse sa vie. Est-ce une conséquence de ses échecs familiaux, professionnels et de ses frustrations ?

L’auteur nous emmène dans une réflexion profonde du héros, qui, voyant tout s’effondrer autour de lui, va modifier certains comportements, ce qui amènerait une « rédemption »….

Ce roman étant écrit à la première personne, nous sommes plongés dans les pensées du personnage : « l’auteur décortique, comme il sait si bien le faire, les émotions et les sentiments amoureux » nous dit Valérie Trierweiler (Paris-Match). Cela nous donne droit à des pages sensibles et profondes sur des sujets-clefs de la vie d’un homme de 50 ans : relation avec le conjoint, relation avec les parents, relation avec les enfants. Tout est analysé…

Quelques paragraphes plein d’humour sur des épisodes de vie : sur les médecins et les salles d’attente, sur les artistes devant leur œuvre, sur les dentistes, sur les vieux couples. On rit et on sourit.

A lire pour un bon moment de détente ce livre « sensible, profond et résolument optimiste » (critique de Version Fémina)

Agnès Martin-Lugand : Les gens heureux lisent et boivent du café.

Les gens heureux lisent et boivent du café


Agnès Martin-Lugand : Les gens heureux lisent et boivent du café - Michel Lafon, 2013 - roman : coup de griffe !!!

Est-il possible de se remettre de la mort de son mari et de sa fillette de 3 ans ? Ce roman qui pourrait être un drame psychologique se transforme en comédie romantique qui sonne faux.

« Diane, l’héroïne, s’exile en Irlande en espérant qu’un prince charmant lui redonnera le goût  de lire et de boire du café »

On essaie de s’attacher aux personnages mais ils sont d’une banalité navrante. On sourit à quelques situations cocasses mais c’est du déjà vu et l’on ressent peu d’émotions tant tout est cliché de « petit » roman : l’alcool, les cigarettes, l’ami homosexuelle, l’amoureux…, l’ex-copine…… 

Le seul point intéressant est que ce livre est d’abord paru sur réseau social par les Editions Michel Lafon, la version papier n’étant parue qu’après car l’achat e-book avait tenté les lecteurs (prix abordable…)

Coup de griffe pour ce roman mélo. Je suis choquée de la photo de la page de couverture de ce roman qui est une copie conforme avec celle du superbe livre de Delphine de Vigan.

dimanche 27 octobre 2013

Marie Darrieussecq : Il faut beaucoup aimer les hommes

Marie Darrieussecq : Il fait beaucoup aimer les Hommes - 2013,P.O.L.- Roman


Solange que nous avions suivie dans « Clèves », roman de cet auteur dans lequel jeune fille, elle était en train de devenir femme, vit désormais, 20 ans plus tard, à Los Angeles où elle est comédienne. Un soir, elle rencontre chez Georges (Clooney probablement) Kouhouesso, un acteur noir séduisant aux longues dreadlocks à l’allure mélancolique et altière, camerounais d’origine, canadien d’adoption. Il veut réaliser son premier film en adaptant le roman « Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad en le tournant en Afrique.

Coup de foudre pour Solange : « c’est l’histoire d’une femme qui a un homme dans la peau ». Solange est aveuglée par son amour. Lui, lui donne son corps mais pas son esprit qui est entièrement focalisé sur la réalisation de son film.

La première partie du livre se passe à Los Angeles ce qui permet à l’auteur de nous décrire avec humour la vie des producteurs en vue, des acteurs célèbres, des starlettes, des scénaristes à Hollywood.

Puis l’histoire se poursuit à Paris et en Afrique puisque notre héroïne jouera dans le film. Les quelques chapitres sur le Congo sont formidables de réalisme et reste la partie du livre que j’ai préférée : la vie de Solange dans la brousse dans une gargotte (bêtes, saleté, faim, maladies…), les conditions de tournage du film, les exigences des tribus faisant les figurants : tout est extrêmement bien vu.

L’auteur aborde deux thèmes principaux dans ce livre : l’histoire d’amour entre un noir et une blanche est-elle choquante ? Le racisme dans le couple existe-t-il ? Leur différence d’origine excuse-t-elle tout ? : « Il est impétueux, amer et savant, énigmatique, distant, souvent absent ». L’attente est le deuxième sujet très bien abordée dans ce roman. Notre héroïne attend : un coup de fil, un texto, une venue sans jamais protester de peur de le perdre jusqu’à se demander s’il a le même rapport qu’elle avec le temps….

Très beau roman abordant beaucoup de sujets sur l’amour et la passion, sur l’attente, sur la différence de vie et de comportement entre des gens de races différentes.

 

Gilles Leroy : Nina Simone

Gilles Leroy : Nina Simone - Mercure de France, 2013 - roman


Gilles Leroy nous écrit une biographie romancée - « une histoire totalement vraie et totalement romancée »- sur la grande chanteuse noire Nina Simone.
Comment cette petite fille noire née dans une famille pauvre de Caroline du Nord est-elle devenue l’immense Nina Simone « la diva à la voix unique et au toucher de piano inoubliable » ?
En fin de vie, son dernier refuge est dans le Sud de la France : « une villa- taudis pour une reine africaine… ». Un homme à tout faire philippin va devenir son confident et elle va lui raconter sa vie par séquences entre de violentes colères et des dépressions alcoolisées (on saura en fin de livre qu’elle lutte depuis longtemps d’un cancer de l’œsophage qu’elle ne veut pas soigner). Elle est devenue une femme acariâtre, autoritaire, sirotant son Bailey’s (faisant même remplir sa théière de bourbon glacé pour boire pendant les interviews !!!) mais une femme très attachante, très sensible et sûrement trop naïve. Elle est entourée de profiteurs, agents et financiers qui la plument jusqu’au dernier moment.
Elle vécut une enfance sacrifiée : premier concert à 11 ans à Tryon, sa ville natale sous le nom d’Eunice Kathleen Waymon. Puis elle eut une adolescence humiliée puisque recalée à l’examen de pianiste classique à l’Institut Curtis de Philadelphie, probablement à cause de sa couleur de peau (seule noire sur 800 élèves). De cette humiliation elle sortira aigrie, combative pour la cause noire pour  laquelle elle s’engage pendant 15 ans. Elle voulait être une pianiste classique mais elle deviendra une immense et voluptueuse chanteuse qui invente la «musique noire classique ». Elle s’appellera Nina en souvenir d’un flirt latino et Simone en hommage à Simone Signoret. Elle recherchera la reconnaissance des plus grands. Elle y parviendra puisque Mitterrand lui demandera de faire un concert dans un château de la Loire devant des chefs d’états, puisque Nelson Mandela l’invitera pour fêter ses 80 ans, puisque le Maire de Bethleem lui demandera de chanter une messe de Noël. Quelle ascension …mais son caractère entier, colérique écarte ses proches et elle meurt dans une solitude complète…
 Grâce à Gilles Leroy et son style brut et même brutal, nous sommes plongés dans l’intimité de Nina Simone : « sa voix puissante chante dans le roman » et ce roman est passionnant, émouvant, nostalgique et vivant.

Bruno Vouters : Jean et Marie


Bruno Vouters : Jean et Marie - ateliergaleriéditions, Lignes de vie, 2013- récit


Superbe livre que ce livre « Lignes de vie » sur Jean et Marie Roulland, tous deux sculpteurs, installés dans une maison cossue du début du siècle dernier dans le Nord. Si l’on rencontre ce couple, on  découvre un artiste certes handicapé mais avec un regard vif, pétillant, interrogatif et nostalgique que la magie d’une ardoise d’enfant permet de transposer en mots et une jeune femme (Marie-Christine Remmery) « un œil noir grand ouvert sur le monde, un large sourire, une parole lapidaire…. »

Ce récit nous permet de mieux comprendre les sculptures déchirées et déchirantes de cet artiste à la vie tourmentée et de réaliser  l’immense amour qui lie Jean et Marie.

« Morbide », « cruel », « désespéré » sont des mots qui reviennent dans les commentaires sur les sculptures de Jean Roulland. Lui se défend en nous expliquant : « Mon message est humaniste ». Pour Marie, « les oeuvres de Roulland ne partent jamais d’une anecdote, elles disent quelque chose d’universel, d’humain. On peut y voir la souffrance peut-être, mais la souffrance fait partie de la vie. Celui qui ne souffre pas n’est pas vivant. Mais je ne sais pas si c’est vraiment de la souffrance. Pour moi, c’est de la révolte. Jean est un révolté ».

Bruno Vouters a choisi d’écrire une alternance de chapitres : un chapitre sur la vie de Jean et Marie depuis leur rencontre jusque maintenant avec des flash-backs sur la vie de l’artiste et un chapitre écrit par Marie (à la première personne) sur la maladie de Jean depuis 2007.

 Marie vient dans les années 1980 faire un stage chez Jean à Vieille-Eglise dans le Nord et leur rencontre sera décisive puisque un grand amour va les lier.  Marie remet Jean dans le droit chemin. Elle l’aide à se confier et il raconte sa vie « amochée » : « son enfance compliquée, les faux amis, la fin d’un contrat avec une galerie parisienne, l’échec d’un séjour en Ardèche de 1963 à 1967, les difficultés familiales. » Après des études à l’école des Beaux-Arts de Roubaix, il se consacre à plein temps à la sculpture à partir de 1960. Fasciné par le bronze il en apprend seul la technique à la cire perdue et fond lui-même dans son atelier. Il est récompensé par de grands prix. « Ensemble ils recomposaient le patchwork de sa vie. » et cela le sauve de ses dépendances alcooliques mais elle comprend que l’artiste a besoin d’air, de liberté. Il devient  un grand sculpteur, fait une exposition rue Mazarine à Paris fin 1990 et une importante rétrospective de son œuvre lui est consacrée à l’Hospice Comtesse à Lille en 1991.

Les chapitres écrits par Marie sur la maladie de Jean sont magnifiques et d’un naturel et réalisme à couper le souffle. Le 13 septembre 2007, il sort de l’Hôpital de Calais où il était rentré pour un malaise dit sans gravité mais aussitôt fait un AVC. Marie luttera avec lui chaque jour : elle raconte son désarroi devant la paralysie totale  de « son Jeannot »,  devant l’attente avec un grand A, devant les termes médicaux incompréhensibles….On ne peut être qu’admiratif devant son courage, son optimisme, sa disponibilité et son amour inconditionnel pour Jean : « Elle va le sauver son Jeannot, à n’importe quel prix, elle veut y arriver ». De Calais à Zuydcoote puis à Vieille-Eglise en passant par Berck, son « Mumuchon » progresse. « Jean a toujours été captivé par les autres. Et maintenant il est aux prises avec sa propre étrangeté : l’autre c’est lui-même » dit-elle.  Premières paroles, premiers gestes « Le cerveau ne peut pas tout réparer d’un coup »….Jean parle  de sa vie passée mais a du mal à être dans la réalité. En 2010, il reçoit un prix de l’Académie des Beaux-Arts pour l’ensemble de son œuvre (il a produit mille œuvres !!!). Il comprend que plusieurs expositions de son œuvre ont lieu  actuellement en 2013 dans plusieurs musées : Musée des Beaux-Arts de Calais, Hospice Comtesse de Lille, Eglise de Nouvelle-Eglise, Musée « La Piscine » de Roubaix.

Le livre se termine par un carnaval organisé dans leur maison et pendant lequel Jean réussit à lever un bras et bouger ses doigts…. Formidable récompense pour leurs efforts à tous les deux….Marie peut avoir le regard joyeux de fierté mais aussi de nostalgie…

Bruno Vouters est l’auteur de plusieurs livres et documentaires sur la création et l’histoire  de la région Nord- Pas de calais. Il est également rédacteur en chef-adjoint du quotidien La Voix du Nord.

 

Alice Zeniter : Sombre dimanche

Alice Zéniter : Sombre Dimanche - Albin Michel, 2013 - roman
L’auteur nous plonge dans le quotidien d’une famille hongroise habitant depuis plusieurs générations la même maison en bois, posée au bord des rails près d’une gare à Budapest. Nous sommes en Hongrie sur fond d’occupation russe (40 ans) puis de fin du communisme.
Cette famille n’est pas comme les autres : on la dirait maudite… Le grand-père, son fils Pal et sa femme Ildiko , leurs deux enfants, Agi et Imré vivent sous le même toit. Le récit progresse lentement en suivant le cours du temps et nous allons suivre la vie d’Imre, gamin timide dans les années 1980 puis adolescent mélancolique au moment de l’ouverture des frontières en 1989. « La Hongrie post-URSS s’américanise et le laisse perplexe ». L’auteur nous décrit l’atmosphère lourde, les histoires dramatiques, les sentiments tristes, les secrets  que supportent cette famille qui a un destin d’une noirceur totale. « Ils sont englués, écrasés par le poids de l’Histoire et de l’occupation ». Ils se recroquevillent sur leur passé douloureux. Les non-dits se dévoilent avec parcimonie pour être confessés par le grand-père dans les dernières pages.
Nous suivons avec les personnages la chute de mur de Berlin et les espoirs qu’elle soulève. L’Ouest fait rêver les héros du roman mais les quelques joies et émancipations sont sans issue : Agi vivra quelques temps avec un français, Imre fera connaissance d’une Allemande…. : « Même la découverte de l’amour et de la sexualité, même l’amitié sont teintées de lâcheté et de médiocrité » (La Croix). Ces deux jeunes gens sont figés malgré les événements ; ils ne sont pas armés et prêts pour choisir une autre vie.
Certes ce livre est « sombre » mais quelle écriture et quel talent possède l’auteur pour décrire les personnages, les situations, les sentiments. Chaque ligne est écrite simplement, avec peu de mots mais avec un style particulier émouvant. L’auteur nous décrit son pays tourmenté avec tendresse et réalisme.

lundi 23 septembre 2013

Sorj Chalandon : Le quatrième mur

Sorj Chalandon : Le quatrième mur - Grasset, 2013 - roman


Sorj Chalandon, ancien grand reporter, m’avait enthousiasmée par deux de ses romans : « Mon traitre » (2008) à propos de son meilleur ami nord-irlandais dénoncé comme informateur des Britanniques puis exécuté par des dissidents de l’IRA, puis « Retour à Killybegs » (grand prix de l’Académie française en 2011) dans lequel il inventait les « mémoires » de son traitre. Puis j’avais eu la chance de le rencontrer et de discuter avec lui à une table ronde de 10 personnes au Salon du livre 2011 : la classe, la gentillesse, la franchise et beaucoup d’émotions en parlant de son traitre qui était même le parrain d’un de ses enfants….

Ce roman se passe au Liban en pleine guerre où l’auteur a été reporter. Il nous captive avec le projet de représenter  « Antigone » d’Anouilh sur place à Beyrouth. « Je voulais, dit-il en interview, que mon héros ne soit pas un combattant » d’où l’idée qu’il soit metteur en scène et qu’il monte cette pièce de théâtre qui parle d’engagement, d’ordre, d’autorité. (Cela donne envie de relire cette magnifique pièce de théâtre…)

Son héros, Samuel, un juif grec réfugié à Paris, metteur en scène, tombe malade au moment de partir au Liban pour monter cette pièce et fait promettre à son ami, Georges, metteur en scène aussi, de le remplacer pour mener à bien ce projet… Georges veut accomplir cette promesse faite à son mentor et ira jusqu’au bout de ses possibilités, quitte à en perdre la raison… Pour lui, cette représentation serait un moment de répit, un instant de grâce d’autant qu’elle serait jouée par des comédiens palestiniens, maronites, chiites ou arméniens… Georges part début 1982 à Beyrouth, délaissant sa femme et sa fille et tente ce pari utopique : il va découvrir autre chose que l’amitié qu’il imaginait possible entre des comédiens de toutes obédiences : la guerre, la violence, les bombardements et surtout le massacre des réfugiés palestiniens des camps de Sabra et Chatila dans la banlieue ouest de Beyrouth. L’auteur était à Chatila au moment de ce massacre et lorsqu’il écrit sur cette tuerie quelques temps après, il confie « J’écrivais en respirant l’air lourd du lieu. Tout était intact : la lumière, les regards, les cris, les pleurs, les grillons, les abeilles, le vent, le silence » : il faut avoir vécu ces drames pour pouvoir les décrire comme il le fait : bouleversant.

Le retour de Georges exprime bien « le fameux traumatisme post-guerre » que l’auteur dit avoir ressenti. Comment assumer le décalage entre sa vie de famille et d’amis et les horreurs de la réalité de la guerre.

L’écriture de Sorj Chalandon est telle qu’il nous fait ressentir la tension, l’horreur et l’absurdité de ces combats : « C’est le Liban qui tire sur le Liban » écrit-il. « Cette tentative fantasque et fantastique nous fait mieux comprendre le Moyen-Orient que les meilleurs essais » dit un critique du Figaro.

« Ecriture sèche et hallucinée » (La croix), phrases courtes, bien construites, pas de « faux-semblants » : tout est fait pour nous tenir en alerte. « Magnifique et désespéré », « Le quatrième mur » est le récit d’une utopie et une ode à la fraternité » Télérama. C’est surement aussi un moyen pour l’auteur de dire et d’exprimer sa propre douleur.

On n’en sort pas indemne et ce récit hante longtemps la mémoire !!!

Martin Hirsch : La lettre perdue

La lettre perdueMartin Hirsch : La lettre perdue - Stock, 2012 - Document


L’auteur est un haut fonctionnaire français, ancien président d’Emmaüs France, Haut-Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté sous le gouvernement de Fillon, (il est à l’origine du Revenu de Solidarité Active : RSA), actuellement  Président de l’Institut du Service Civique qu’il a créé en 2012.
Tous ses titres ne l’empêchent pas d’écrire  de façon simple les raisons de ses L’auteur est un haut fonctionnaire français, ancien président d’Emmaüs engagements publics et privés. La lettre perdue est une lettre que lui a écrite son père le jour où il est entré à l’ENA et ce livre-témoignage est ce qu’il aurait pu répondre à son père.

Il nous parle de ses origines juives, de son éducation protestante, de ses études brillantes et diverses… et de sa vie publique, le tout  agrémenté  de souvenirs d’enfance, de récits de rencontres (avec Nicolas Sarkozy par exemple), de voyages (particulièrement d’une visite en Israël avec Stéphane Hessel), de réflexions drôles sur ses études de médecine, et de belles pages sur la musique qu’il aime.
Selon l’Express, ce récit est « un beau texte subtil et personnel sur l’engagement ».

Très abordable réflexion sur les « racines de l’engagement » dans un style agréable et plein d’humour qui peut nous amener à réfléchir sur nos propres engagements.

Anne-Dauphine Julliand : Deux petits pas sur le sable mouillé (poche 2011 et 2013) et Une journée particulière - Les Arènes, 2013) récit et témoignage.

Deux petits pas sur le sable mouilléUne journée particulière

Chaque livre peut se lire en autonomie mais on comprend mieux la finesse du second si on a lu le premier.

Le premier est un témoignage bouleversant : l’annonce, à l’auteur, d’une maladie non guérissable dont est atteinte sa fille de deux ans et le cheminement de cette maladie jusque la mort.

Le deuxième est le récit d’ « une journée particulière », le 29 février, jour de naissance de cet enfant, qui aurait eu 6 ans mais qui est morte il y a 3 ans.

L’auteur est journaliste et mère de quatre enfants. L’annonce de cette maladie génétique va bouleverser sa vie et celle de son mari. A cette date, elle est enceinte de leur seconde fille que tous deux choisiront de garder, sachant qu’elle subira une greffe de moelle osseuse pour essayer de la sauver : elle a maintenant 7 ans et est handicapée moteur.

Comment cette jeune femme réussit, avec son visage serein et souriant à vivre « heureuse », dit-elle elle-même ???? L’auteur sait nous transmettre ses émotions, ses chagrins, ses « espérances ». Elle décrit à merveille les petites choses de la vie. « Son message universel reste simple, vrai et d’une force incroyable ». Ce couple a décidé de vivre au jour le jour, de profiter de chaque moment. C’est très émouvant de voir la solidarité de la famille, des « vrais » amis qui se battent tous à côté de ce couple extraordinaire et de leurs autres enfants.

Elle commence une réunion où elle présente son parcours en disant : « J’ai fait un voyage difficile, je viens vous proposer ma vision du bonheur. Ce que j’ai reçu, j’ai envie de le partager ». L’amour est au centre de son exposé : elle croit à la vie, au bonheur, à l’amour et elle croit en l’amour de Dieu. Elle dit à son enfant malade : « Tu auras une belle vie, où tu ne manqueras jamais d’amour »…

Bouleversante leçon de vie et de courage à chaque page.

 
Anne Dauphine Julliand : Deux petits pas dans le sable mouillé - Poche (j'ai lu), 2011 et 2013 et Une journée particulière - Les Arènes, 2013 - récit et témoignage

Annie Butor : Comment voulez-vous que j'oublie...

Annie Butor : Comment voulez-vous que j'oublie...Madeleine et Léo Ferré 1950-1973 - Phébus, 2013 - biographie


Etant « fan » de Léo Ferré (surtout de ses premières chansons), j’étais intriguée de lire le témoignage de sa belle-fille Annie Butor. Elle fut toujours considérée comme sa fille, ayant été  élevée par Léo ferré à partir de l’âge de 5 ans. L’auteur et Madeleine (sa maman) ont vécu avec le chanteur de 1950 à 1973. Annie Butor a donc passé son enfance et son adolescence avec le poète.

La première partie du livre est bouleversante : la vie au quotidien de ce couple et « leur fille » est une vie hors-norme et excentrique. L’auteur nous dit : « Léo ne semblait faire aucune différence entre le monde des adultes et le mien » : son enfance est donc au milieu d’adultes. La petite fille est mêlée à leur vie, leurs problèmes financiers, la création des chansons, leur amour, leur vie de bohème.  L’auteur nous fait un portrait émouvant de son beau-père et de sa mère, deux êtres exceptionnels. La « Jolie môme » décrit les débuts difficiles, le succès, la gloire du chanteur mais surtout l’amour fou qui lie sa mère et Léo ainsi que l’amour et l’affection qu’il donnait à l’auteur. On apprend pour quelles occasions et circonstances ont été écrites la plupart des chansons, quelques paroles et poèmes étant retranscrits régulièrement ce qui rend la lecture très agréable. L’auteur nous dit « Ma mémoire est faite de chansons. Les chansons de Léo, je les ai vues naître, au jour le jour, je devrais dire plutôt nuit après nuit ».

La deuxième partie donne froid dans le dos : c’est la descente aux enfers de ce couple mythique : « Avec le temps va, tout s’en va »…. Comment Léo Ferré a-t-il pu devenir un homme si minable ?

Annie Butor reste juste et le récit n’est pas un règlement de compte mais un hommage à sa mère qui a tant aidé le chanteur. C’est aussi une reconnaissance de l’amour que lui a prodigué Léo Ferré.

Très beau témoignage, intéressant particulièrement pour ceux qui connaissent un minimum de chansons de Léo Ferré. « C’est extra », « Titi d’Paris », « C’est la vie » « Jolie môme », une soixantaine de chansons sont citées….

Katherine Pancol : Un Homme à distance

Katherine Pancol : Un Homme à distance - Albin Michel, 2002 ou Poche, 2004 -
roman français.
Après avoir lu « Les yeux jaunes des crocodiles » (2007) et « La valse lente des tortues », je voulais lire ce livre court du même auteur. Petit livre car lu en une heure…mais tellement agréable pour les amoureux des livres !!!
C’est un court roman  épistolaire (genre « Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates ») comme les romans du 18ème…et ces lettres courtes    donnent un rythme à la lecture.
Une libraire échange un courrier soutenu avec un inconnu. Sa librairie est à Fécamp et l’auteur nous décrit l’atmosphère maritime de cette ville avec finesse. Elle nous raconte aussi son travail passionnant de libraire et sa façon de donner le goût de lire et le goût des mots à ses lecteurs et à son correspondant mystérieux. Au fil des pages et des lettres échangées, on devine le passé de cette jeune femme. Les deux correspondants se cachent derrière l’anonymat  pour écrire leurs sentiments, leurs propres lectures, leurs secrets, leurs douleurs passées… Mais cet homme est-il vraiment un inconnu ? La surprise finale est assez inattendue.
L’écriture est fine et agréable. Un bon moment de détente.
 








Tatiana de Rosnay : A l'encre russe

Tatiana de Rosnay : A l'encre russe - Héloïse d'Ormesson, 2013 - roman

Coup de griffe

Plusieurs thèmes sont abordés dans ce roman :

Au moment de renouveler son passeport, Nicolas Kolt, jeune écrivain, apprend que ses parents ne sont pas nés en France et il va partir à la recherche de ses origines : un pan de son histoire lui a été caché délibérément. Il mène une enquête qui le mènera jusque Saint-Pétersbourg.

Ce thème sur la recherche de ses origines et le secret qui l’entoure reste assez banal…

Ce jeune auteur, devenu célèbre du jour au lendemain, est emporté par une tornade médiatique. Il se trouve déboussolé par son triomphe et devient « accro » aux réseaux sociaux, se perd sur la toile, est dépendant de son iPhone : il change tant que sa femme et son meilleur copain le quittent….Il est tellement perturbé qu’il est en panne pour écrire son deuxième roman attendu par son éditrice : c’est le problème de la « page blanche » et le mystère de la création littéraire…..

Ces deux thèmes sont des sujets bien connus de l’auteur : même problème de passeport, même problème de l’écrivain à succès….

Bien sûr les sujets sont intéressants mais l’auteur nous emmène dans un roman banal : la description de la vie de son héros parti dans un hôtel luxueux avec une maitresse n’a aucun intérêt. Les messages érotiques via Twitter sont nuls et l’événement final prête à rire….

J’ai été très déçue : on ne retrouve pas la portée du premier livre de cet auteur « Elle s’appelait Sarah » (2008 ) et de « Boomerang » (mai 2009)

 

dimanche 25 août 2013

Jeanne Benameur : Profanes

 

Jeanne Benameur : Profanes - Actes Sud, 2013 - roman français
 
Jeanne Benameur a remporté le grand prix RTL/Lire au printemps 2013 avec ce superbe roman et on le comprend en le lisant : « Etonnante démonstration de l’espoir retrouvé dans la compagnie des Hommes au moment où tout semble s’effondrer » dit Xavier Houssin dans Le Monde.
C’est l’histoire d’un chirurgien retraité, Octave Lassalle. A 90 ans, il décide de s’entourer de quatre « aides » d’âge, de milieu et de culture très différents pour l’assister à vivre ses « derniers temps »  dans une grande maison familiale. Chacun des personnages va l’accompagner et l’aider non seulement matériellement mais aussi moralement, tout en évoluant eux-mêmes dans leurs propres vies. Lui-même et chacun ont des secrets profondément traumatisants, des blessures, des angoisses, des peurs mais vont tous réagir et des « liens invisibles » se tissent et les aident à avoir l’optimisme et l’espérance nécessaires pour continuer la « lutte pour la vie ». Je n’en dis pas plus…mais chaque parcours est passionnant.
« Dans une langue incantatoire », l’auteur nous livre cinq portraits magnifiques « criants de beauté et de vérité » que l’on imagine sans aucune peine. Octave Lassalle trouve des « haïkus » (petit poème extrêmement bref venu de Japon) qui convient à chacun de ses 4 « aides ». Quelle écriture délicate et poétique !
A lire absolument pour rester optimiste !!!!
 

Jean-Christophe Rufin : Immortelle randonnée


Jean-Christophe Rufin : Immortelle randonnée Compostelle malgré moi - Edition Guérin, 2013 - récit


A chacun son chemin de Compostelle . Cela se constate dans « Immortelle randonnée. Compostelle malgré moi ».

L’auteur nous fait vivre SON chemin « Camino del Norte » : en effet il choisit de faire la route Nord moins fréquentée par les « Jacquets », au départ d’Hendaye qui longe l’Atlantique à travers le pays Basque, la Cantabrie, les Asturies et la verte Galice : 800 km au cours desquels il est soumis à rude épreuve. Il nous décrit avec humour les préoccupations des marcheurs et sa « clochardisation » progressive. « Le chemin est une force, il s’impose, il vous saisit, vous violente et vous façonne »

 Ce dépouillement l’amène à une quête de spiritualité et une occasion unique de réfléchir. « C’est une autre des découvertes que l’on fait en chemin que cette exaltation, ce bonheur, cette paix qui augmente à mesure que l’on approche du but » écrit-il.

Inutile de rappeler le « style incisif et évocateur » (dit un critique de La Vie). On se régale de certains passages et certaines descriptions si bien écrits grâce à l’écriture fluide dont Jean-Christophe Rufin a le secret. Ce récit est un bijou de littérature, alerte, drôle et attachant.

Julie Wolkenstein : Adèle et moi

Julie Wolkenstein : Adèle et moi - POL, 2013- roman français


J’ai beaucoup aimé ce livre et repense souvent à cette dame qui pourrait être ma grand-mère ou mon arrière-grand-mère. Je repense aux maisons familiales et à l’importance qu’elles prennent dans la construction mentale des enfants.

L’héroïne, divorcée, amoureuse à nouveau, écrivain (un double de l’auteur ???) découvre, en triant des papiers à la mort de son père, l’existence et la vie passionnante de son arrière-grand-mère Adèle et reconstitue sa vie dans le Paris et autres lieux des années 1870-1880. Julie Wolkenstein construit son roman autour d’un secret de famille que son héroïne découvre dans un « memorandum », signé d’une certaine tante Odette qu’elle rencontre et qui, de plus, lui donnera le journal d’une partie de la correspondance d’Adèle. « Julie Wolkenstein aime les intrigues à tiroirs, les coïncidences et les courts-circuits » nous dit un critique. Une maison à Saint Pair près de Granville sert de trait d’union entre Adèle et son arrière-petite-fille, notre héroïne.(On a envie d’aller voir ce village…)

L’ambiance des vacances familiales dans cette « villa » est extrêmement bien décrite ainsi que la vie parisienne et en campagne de l’époque.

J’ai aimé la façon d’écrire de l’auteur, son humour, sa drôlerie, la typographie même originale : les mots soulignés, les mots en italiques, les mots en lettres majuscules…

Certains critiques ont trouvé ce roman trop long mais en le lisant en vacances je me suis laissée portée par l’ambiance, par les descriptions des différentes époques, par la révélation du secret…


Tom Wolfe : Bloody Miami

Tom Wolfe : Bloody Miami - Robert Laffont, 2013 - roman américain


Comment décrire ce livre de Tom Wolfe ou le classer dans un genre littéraire ? C’est à la fois une enquête sur la vie actuelle à Miami, un thriller, un roman « dans la droite ligne des romanciers français du 19ème siècle », tel Balzac ou Zola dont l’auteur est « le plus grand fan ».

Tom Wolfe dit à François Busnel dans un entretien : « Je voulais écrire sur l’état actuel de l’Amérique et donc sur l’immigration qui est le grand sujet actuel de notre pays ».

Il a donc effectué un énorme travail d’enquête et d’observation de la vie à Miami sur tous les milieux sociaux, « Miami étant la ville au Monde dont plus de la moitié des habitants étaient des immigrés de fraiche date, autrement dit des cinquante dernières années. ». On croisera dans ce roman des Cubains, des Haïtiens, des Russes, des Latino- Américains, des métis et quelques « Anglos ». Evidemment la cohabitation de tout ce petit monde crée des rivalités et des tensions et l’auteur va nous créer une fiction bien menée avec des situations et des émotions surprenantes. Vont se côtoyer des personnages si bien décrits qu’on les imagine sans difficultés, tous étant obnubilés par le sexe, l’argent et la couleur de peau : un jeune flic d’origine cubaine, né sur le sol américain, une Haïtienne blanche, l’ex-petite-amie du flic voulant s’en sortir devenue la « muse » d’un psychiatre, spécialiste des addictions au porno puis d’un milliardaire russe. Puis intervient un journaliste accrocheur qui va mener plusieurs enquêtes emmêlées avec le jeune flic : « L’ensemble forme une fresque à la Zola, l’humour vachard en plus » (F. Busnel)

L’écriture de Tom Wolfe et son style sont très originaux : onomatopées, points d’exclamation, monologues intérieurs, ponctuation et accents sont surprenants, mais si drôles. Il y a des passages hilarants, exemple celui sur l’art contemporain : la ruée des milliardaires vers une foire d’art vue par une cubaine non-initiée…. Ainsi que la description des soirées dites « mondaines » des milliardaires…


Evidemment sur 610 pages il y a quelques longueurs et des passages un peu lourds mais on le pardonne à l’auteur tant ce livre est passionnant, intéressant et plein d’humour.

samedi 29 juin 2013

Jim Fergus : Chrysis

Chrysis

Jim Fergus : Chrysis - Ed. Cherche-Midi, 2013 - roman franco-américain

Jim Fergus nous fait dans ce roman un portrait incroyable de Chrysis Jungbluth, une jeune artiste française qui vécut à Paris durant les Années Folles en 1920.

C’est en achetant un tableau en France en 2007, signé Chrysis, pour sa femme qui allait mourir d’un cancer quelques mois plus tard qu’il a voulu en savoir plus sur le peintre de cette œuvre, qui représente une scène d’ « Orgie », un groupe d’hommes et de femmes, de toutes couleurs, nus et enlacés.
Ses recherches le conduiront à la Bibliothèque Nationale et aux archives des Beaux-Arts et il nous romance la vie de cette artiste. Chrysis quitte les Vosges pour venir à Paris avec ses parents et prend des cours de peinture dans l’atelier du peintre Hembert où elle rencontrera les artistes de ce début de siècle. Cela donne lieu à des descriptions très enlevées de l’atmosphère déjantée de la vie nocturne à Montparnasse. Elle deviendra « peintre et femme libérée au mitan de ses années folles, allant jusqu’à exposer l’audacieux « Orgie » au Salon de Paris en 1929 » nous dit un critique du Figaro.

Notre belle artiste, par l’effet du hasard, va faire la rencontre dans le quartier Montparnasse, de Bogey, un cow-boy américain, traumatisé par la Grande Guerre à laquelle il a voulu participer ayant un reste de sang français dans les veines. C’est un incroyable périple qu’a fait ce cow-boy (qui a existé ainsi) : partant du Colorado et de son ranch familial à cheval, passant par New-York, traversant l’Atlantique sur un paquebot avec son cheval et devenant « courrier cow-boy » pour la Légion Etrangère, côtoyant la souffrance des soldats et la dureté des combats.

Deux lieux donc : l’Amérique et le Paris des Années Folles, deux atmosphères : la Grande Guerre et ses atrocités et la légèreté des Années 1920. L’on reconnaît bien la double culture de Jim Fergus, de père américain et de mère française. Valérie Trierweiler conclut sa critique sur ce livre en disant : « Jim Fergus a le mérite de nous entraîner dans un monde fait de gravité et de légèreté, de sang et de chair…Comment ne pas aimer un homme ami à la fois de Jim Harrisson et de Robert Redford ? »

Très beaux portraits à la fois véridiques et romanesques de cette jeune artiste et de ce cow-boy dont le monde a quasiment disparu dans une belle écriture facile à lire.