jeudi 14 juin 2012

Delphine de Vigan : Rien ne s'oppose à la nuit

Delphine de Vigan : Rien ne s'oppose à la nuit - 2011, Ed Lattès - roman


PRIX du Meilleur ROMAN attribué par le jury des Lectrices du journal "ELLE" en mai 2012.

En la rentrée littéraire 2011, nous avons tous lu énormément de magazines où il y avait des critiques, souvent très élogieuses sur ce roman.  Nous avons écouté beaucoup d’interviews de l’auteur. Nous avons vu la prestation de l’écrivain à « la Grande Librairie » : nous avons cru connaître  le livre ; mais, NON. Il faut l’avoir lu pour comprendre comment Delphine de Vigan réussit un récit bouleversant, d’une grande honnêteté, au plus près de la vérité, inspiré de faits réels sur sa maman, Lucile, d’une beauté lumineuse, telle que nous la voyons en couverture du livre mais d’une âme effondrée de l’intérieur.

Delphine de Vigan nous livre donc son enquête et ses recherches à travers des témoignages, des photos, des écrits, pour essayer de comprendre sa mère et de restituer au plus juste le parcours de cette femme au destin tragique.

Les chapitres sont entrecoupés de réflexion de l’auteur sur ses états d’âmes. Elle a peur de découvrir des vérités, des non-dits, des souvenirs trop douloureux. Elle ne veut pas faire d’indiscrétion, ne pas exprimer la douleur de chacun. Ces passages sont bouleversants de sincérité et de courage et c’est grâce à ces apartés que le livre est si émouvant, pudique, vrai et original. L’auteur nous dit : « J’ai pris goût à une seconde voix qui me permet de faire part de mes doutes et de mes interrogations ».

Lucile, troisième enfant d’une famille nombreuse exubérante et anticonformiste de l’après-guerre, est une petite fille secrète puis une adolescente silencieuse et distante. Elle est très marquée par des événements familiaux dramatiques : trois de ses frères sont morts jeunes, le petit dernier est trisomique.

Puis l’auteur nous raconte sa  propre naissance et celle de sa sœur 4 ans après, sa vie avec sa mère instable,  incapable d’assumer son rôle de mère (mai 68 est passé par là) : vie de bohême, enfants laissées seules, aucune structure, drogues et boissons. Elle nous décrit la dérive et la descente aux enfers de Lucile, ses « bouffées délirantes », sa folie et comment les deux jeunes filles ont dû faire « avec ».

Puis il y eu une accalmie : « Il fallut apprendre à lui faire confiance, ne plus avoir peur de la rechute ». Lucile se remet au travail et aux études. On peut se demander pourquoi elle choisit le métier si difficile psychologiquement d’assistante sociale, particulièrement lorsqu’elle travaille pour les « Malades Usagers de Drogues » à l’Hôpital Lariboisière ?

Lucile fut une grand-mère anxieuse et ultra-protectrice pour ses petits- enfants au contraire d’avec ses filles livrées à elles-mêmes, si loin de son regard….

La maladie la rattrape : un cancer du poumon et de là une retombée dans la folie, le refus de se soigner et le suicide il y a deux ans : elle voulait mourir « vivante ».

Magnifique témoignage que l’on pourrait conclure par une phrase de l’auteur : « Ma mère était quelqu’un de mystérieux et aujourd’hui encore elle le reste ».
Fiche écrite en octobre 2011 au moment de la rentrée littéraire

Jussi Adler Olsen : Miséricorde

Jussi Adler Olsen : Miséricorde - Albin Michel, 2011 - roman policier traduit du danois.

 PRIX du meilleur POLICIER attibué par les lectrices de "ELLE"

Le titre de ce roman policier en danois est « La femme en cage »  et un prologue-choc nous fait comprendre tout de suite la raison de ce titre. En effet tout au long du livre, s’alternent des chapitres sur la vie de Merete enfermée dans un caisson pressurisé depuis 5 ans et sur l’enquête que mène un inspecteur sur la disparition de cette femme qui, en politique, incarnait l’avenir du Danemark dans le parti démocrate.

L’inspecteur est un danois, flic blasé et désabusé, mis sur la touche après un accident de son équipe et chargé de diriger la Section V, département des affaires non-élucidées, installé dans les sous-sols de la criminelle. On lui adjoint un homme à tout faire, un drôle de petit bonhomme, syrien, réfugié politique, malin, observateur et débrouillard. Ils deviennent complémentaires et vont élucider la disparition de notre Merete.
Ce duo d’enquêteurs est vraiment sympathique et attachant. L’ironie et l’humour sont sans cesse présents. Le rythme ne faiblit pas, l’angoisse est garantie et la lecture oppressante oblige à lire ce thriller d’une traite. On retrouve tout ce que les fans de polars scandinaves aiment. Ce policier a d’ailleurs eu le prix du meilleur polar scandinave. L’auteur connaît donc un grand succès avec  « Section V », série comptant déjà 4 tomes,  seul celui-ci ayant été traduit en français.

Helene Cooper : La Maison de Sugar Beach

Helene Cooper : La Maison de Sugar Beach - 2011, Ed. Zoe - Document  traduit de l'anglais.

PRIX du meilleur DOCUMENT attribué par le jury des lectrices du journal "ELLE"

Ce livre a un sous-titre « Réminiscences d’une enfance en Afrique » : cela convient bien à la première moitié de cette autobiographie qui raconte la vie de l’auteur, de sa naissance en 1966 jusqu’en 1980 au Libéria. L’auteur veut justifier son comportement « d’enfant gâtée ». En effet fille, petite-fille, arrière-petite-fille des fondateurs du pays, eux-mêmes ex-esclaves noirs d’Afrique venus aux Etats-Unis et ensuite affranchis et revenus « coloniser » leur ancienne terre africaine, elle a vécu au Libéria une enfance de "princesse", une adolescence privilégiée, riche, sans se poser de questions, avec une sœur de cœur, d’origine bassa, de condition modeste. Cette partie est écrite avec un style et un langage enfantin qui agacent un peu.
Ensuite, une trentaine de pages nous font le récit du coup d’état du 12 Avril 1980  avec ses atrocités (massacre de Samuel Doe, exécution de son oncle, viol de sa mère) dans une écriture journalistique. Cette période fera basculer la vie de la famille Cooper.

Puis notre auteur fuit aux Etats-Unis, laissant sa sœur de cœur au Libéria. C’est  un  récit un peu long de son adaptation à la vie américaine : vie à la maison, vie à l’université et début de vie de journaliste.
La dernière partie est plus poignante et émouvante car l’auteur retourne en 2003 au Libéria et retrouve sa sœur de cœur.

Très beau documentaire car l'auteur reste lucide et honnête sur "l'histoire dorée puis tragique de sa famille"

Helene Cooper est correspondante du New York Times à la Maison Blanche et est connue et redoutée de ses collègues pour sa belle écriture. L'un d'eux dit : "Elle est capable d'articles très différents, en y mettant une touche souvent personnelle"

Douglas Kennedy : Cet instant-là


Douglas Kennedy : Cet instant-là – 2011, Belfond – Roman étranger
Dans « Cet instant-là », Douglas Kennedy mêle l’histoire de Berlin à une passion amoureuse.

Un jeune journaliste-écrivain américain, Thomas Nesbitt, s’installe dans le Berlin des années 80 avant la chute du Mur, pour trouver une inspiration pour son prochain roman. « Libre et enfermé, mais du bon côté », il travaille pour Radio Liberty et sous-loue une partie d’un appartement à un peintre homosexuel, camé, dépressif, provocateur. Il croise à son travail Petra, une Est-Allemande passée à l’Ouest, « Petra, la sombre, Petra une fille abimée de vivre ». C’est le coup de foudre immédiat et la naissance d’une vraie passion amoureuse.
Ensemble, ils imaginent une vie commune dans un monde libre mais services secrets, agents doubles, trahisons sur toile de fond de la guerre froide font tout basculer en « un instant ». L’univers de cette guerre froide est extrêmement bien rendu : décors, sentiments,  « errances et fulgurances », problèmes psychologiques, pièges de l’espionnage ainsi que l’atmosphère trouble et oppressante qui règne des deux côtés du Mur de Berlin à cette époque.

Pour raconter cette « histoire », l’auteur utilise tous les procédés du bon scénariste : le colis qui arrive par la poste, vingt ans après les événements, contenant le journal intime de l’héroïne, la lettre posthume qui termine le roman, les retrouvailles avec le fils de Petra.
« Par son art du récit, précis et maitrisé, Douglas Kennedy excelle à nouer des intrigues puissantes, tendues, intimes » nous dit un critique de la Croix. C’est donc un roman captivant sur le destin et l’importance de « l’instant ». L’auteur nous dit : « Même s’il y a toujours la musique du hasard, la vie est composée d’instants essentiels où l’on fait des choix… Ces instants existent et vous rendent maître de votre destin ».

Evidemment les lecteurs qui sont allés à Berlin apprécieront d’autant plus l’atmosphère de cette aventure.


Grégoire Delacourt : la liste des envies


Grégoire Delacourt : La liste des envies – 2012, JC Lattès – roman
Dans ce roman court, l’auteur nous raconte la vie de Jocelyne Guerbette. Cette femme aime la vie simple qu’elle mène à Arras entre son mari, ses enfants (jeunes adultes), son métier de mercière, le blog qu’elle anime avec succès sur la couture et ce, malgré les épreuves (elle a perdu un enfant à la naissance).

Elle gagne 18 millions d’euros au loto et décide de ne le dire à personne, ayant peur de briser l’équilibre de sa petite vie qui la satisfait. En étant riche, elle risque de ne plus être la même et les autres n’auront plus le même regard sur elle. Se pose donc la question de « décider de sa vie ». Ce choix soulève une réflexion bien plus profonde qu’elle n’en a l’air.
L’éditrice nous dit : « Ce livre colle incroyablement à l’humeur de l’époque. Il parle de crise, de rêve, de vieillesse avec tendresse, sagesse, lucidité » d’où le succès et le phénomène commercial car ce roman vient de franchir la barre des 100.000 exemplaires !!

Cette histoire sensible est écrite dans un style simple et touchant avec beaucoup d’humour. L’auteur a dit dans une interview : « J’aime les chapitres courts. Pas de gras, pas de descriptions, pas de phrases qui se regardent écrire… »
On appréciera donc « cette histoire lumineuse qui nous invite à revisiter la liste de nos envies…. »


Jean-Christophe Rufin : Le Grand Coeur


Jean-Christophe Rufin : Le grand cœur –2012, Ed Gallimard –roman historique

Le grand coeurJean-Christophe Rufin, écrivain académicien, écrit les mémoires imaginaires de Jacques Cœur en nous livrant « une épopée moyenâgeuse pleine de panache ». Il lui a fallu beaucoup d’imagination pour écrire 500 pages bien serrées sur la vie de cette homme dont on ne sait pas tant de choses…Ecrit à la première personne, ce qui rend ce roman très intimiste, ce récit est conté par Jacques Cœur lui-même : c’est une sorte de bilan de sa vie. Il fut marchand, négociant, banquier, armateur mais aussi Grand Argentier du Roi Charles VII, membre de son conseil, diplomate, seigneur et enfin Amiral de 1400 environ à 1456.
L’écriture extraordinaire de l’auteur réussit à nous faire aimer notre héros et à le réhabiliter car il lui voue beaucoup d’admiration.

Les trois grandes passions de Jacques Cœur sont décrites merveilleusement et on se régale en lisant cette littérature romanesque.

-        Passion pour l’Orient : les descriptions et la découverte de Damas sont magnifiques et hautes en couleurs, Jacques  Cœur étant surpris de tant de raffinements.
-        Passion pour Florence où il découvre l’art et le luxe.
-        Passion pour Agnès Sorel, la Dame de Beauté, première favorite royale dans l’Histoire de France, décrite avec délicatesse, précision d’après un tableau de Jean Fouquet peint dans les années 1440, la montrant « d’une beauté saisissante ».

Ce livre est enthousiasmant grâce à son style : « Il a la puissance d’un roman picaresque, la précision d’une biographie et le charme mélancolique des confessions » nous dit l’éditeur et il nous fait découvrir le Moyen âge au seuil de la Renaissance, période peu traitée en littérature.
Un seul bémol : quelques passages au milieu du livre sont vraiment très longs et répétitifs et le récit s’essouffle un peu dans la deuxième partie….




Malla Nunn : Justice dans un paysage de rêve


Malla Nunn : Justice dans un paysage de rêve - 2011, Ed des 2 Terres- Policier étranger.

L’inspecteur Cooper venant de Johannesburg a pour mission de trouver le meurtrier de Willem Pretorius, le capitaine blanc de la police locale originaire d’une riche famille afrikaner. Cela se passe à Jacob’s Rest, petite ville de province qui semble paisible en 1952 dans un Afrique du Sud sous régime apartheid.
L’auteur connaît bien ce pays puisque originaire du Swaziland et elle nous fait une description très précise et soignée des paysages superbes, du village, des habitations, des cabanes et du « veldt », des habitants : des Afrikaners, des Anglais, des Noirs, des Métis…( « Toutes les couleurs de peau étaient exposées, du lait frais au sucre caramélisé ») ainsi que des mœurs sud-africaines.

Le fond historique est un des principaux atouts de ce roman policier qui se passe donc à l’époque de la promulgation des lois instaurant l’apartheid en Afrique du Sud et ce sont les lois pour la suprématie des Blancs qui régissent le pays. Les policiers de la « Security Branch » envoyés par le « National Party » s’emparent de l’enquête et imaginent forcément que le coupable est un indigène. Mais notre inspecteur Cooper va continuer son enquête aidée d’un agent mi-zoulou, mi-shangaan et soulever le voile sur cette communauté où règnent des clivages raciaux incroyables et sur la double vie de la victime en prenant le risque d’affronter la famille du défunt.

La tension monte ainsi que la violence surtout après un retournement de situation dans les 100 dernières pages qui « sont un véritable festival de rebondissements aussi inattendus qu’intelligents » et qui nous laissent en haleine, pris par l’émotion et le suspense jusqu’au dénouement.

Olle Lönnaeus : ce qu'il faut expier

Olle Lönnaeus : Ce qu'il faut expier - 2011, Ed Liana Levi - Policier traduit du suédois

Ce policier est une enquête sur la mort d’Hermann et Signe, les parents adoptifs de Konrad, héros de ce livre, journaliste à la dérive, revenu dans la petite ville de Scanie, province du Sud de la Suède, où il a passé son enfance et a vécu chez ce couple assassiné, de l’âge de 7 à 17 ans.

Cette quête de la vérité, que notre héros mène en parallèle avec l’enquête de la police, va l’amener à revivre de douloureux souvenirs et ses drames familiaux, à revoir d’anciennes connaissances, à chercher les raisons de la disparition de sa mère génétique polonaise, Agnès et l’on découvre petit à petit les raisons de sa fuite du pays.

Mais ce livre est surtout prétexte pour l’auteur de nous faire la chronique d’une petite ville d’une mentalité xénophobe et raciste pendant la guerre et encore actuellement. Des idées d’extrême-droite sont très influentes dans le Sud de la Suède. Notre héros, enfant, était traité de « sale bâtard de Polack » et un de ses amis subissait la haine des habitants car il était homosexuel.

Ce policier a une bonne intrigue pleine de rebondissements inattendus. C’est  aussi une peinture réaliste et un roman social sur les mentalités de Tomelilla (ville de Scanie, non loin des lieux des romans de Mankell et de son flic Wallander!!!